Critiques - Dans les cuisines

Marine & Végétale, l'univers insulaire d'Alexandre Couillon

Ecrit par Fred Ricou le 03.01.2017

S’il y a bien un chef qui a fait beaucoup de bruit cette année malgré sa modestie et sa simplicité, c’est bien Alexandre Couillon. Depuis 1999 où il ouvre avec sa femme Céline, La Marine, un restaurant gastronomique sur l’ile de Noirmoutier, il n’a eu de cesse grâce à sa cuisine moderne et créative d’émoustiller les papilles de ses clients, mais également de différents guides gastronomiques. Présent dans notre liste des 7 livres qu’il fallait absolument offrir ou s’offrir pour Noël, Marine & Végétale, vient fixer sur papier l’univers de ce très grand cuisinier de 40 ans.

 

 
La série documentaire de la plateforme Netflix, Chef’s Table, l’a placé à côté d’Alain Passard et de la famille Troisgros, c’est donc tout naturellement aujourd’hui dans le monde entier qu’il se fait un nom. Presque en parallèle de l’épisode s’est créé un livre, un beau livre, paru il y a quelques semaines aux éditions de l’Épure. Après son titre de Cuisinier de l’année 2016 remis il y a quelques semaines par le guide du Gault & Millau, Alexandre Couillon aime à parler de son univers, de son île, de ses équipes. D’ailleurs, il ne dit que très rarement « je », la plupart du temps, il parle, au pluriel.
 
Depuis quelques mois, cette mise en avant médiatique le fait sortir de son île de plus en plus souvent. Il y a quelques semaines, Alexandre Couillon était de passage à la Librairie Gourmande au centre de Paris pour signer ce premier livre et si l’on parle de « mentalité insulaire », le chef noirmoutrin ne s’en cache pas : « Il faut être honnête : aujourd’hui, on est très fort, on est protégé quand on est sur notre île. En plus dans ma cuisine, fermée, avec ses murs de faïence, je suis heureux ! Après, on prend du temps parce qu’il faut y aller, il faut aller voir, il faut faire des rencontres. Il faut aller voir les gens parce que c’est super important de voir notre public. Moi, je vais rarement en salle, mais de voir tous ces gens qui connaissent… Aujourd’hui, on sort Marine & Végétale mais ces gens-là connaissent toute notre histoire et c’est impressionnant. ».
 
Ce n’est pas rien, pour nous, de qualifier Marine & Végétale de « l’un des plus beaux livres culinaires de cette fin d’année » les photos de Laurent Dupont sont sublimes, les textes de Jacky Durand d’une rare poésie et l’on entre dans l’univers du chef comme rarement il nous a été donné de le faire. Il y a un côté un peu militant pour Alexandre Couillon d’avoir choisi les éditions de l’Épure pour le réaliser : « Avec Sabine (ndlr : Sabine Bucquet-Grenet), nous avons eu le même langage autour de ce livre-là. Une impression en France, les petits cahiers sont reliés à la main à Limoges, on aurait pu le faire à l’autre bout de la planète, mais l’on n’a pas voulu. Et pas un livre de chef avec beaucoup de recettes, un livre grand, gros, qui nous ressemble, qu’il soit vraiment ce témoin et la transmission de ce que nous avons fait il y a quelques années et de ce que nous ferons demain… »
 
Alexandre Couillon raconte un peu la manière dont ce livre a été créé : « On l'a imaginé sur une couverture souple, un peu comme un cahier de bord, un livre de transmission avec des photos. » Et d'ajouter : « On n’a pas posé pour les photos. Laurent était là, comme Jacky pour l’écriture, ils sont venus, ils se sont fondus dans la cuisine. Ils ont observé. Laurent a pris des photos et Laurence (ndlr : graphiste des éditions de l’Épure) a fait un gros travail sur le graphisme. Rien n’a été fait au hasard, si une photo est mise à côté d’une autre, c’est vraiment qu’il y a une histoire, une cohérence… ».
 

Photo Laurent Dupont
 
Jacky Durand, quant à lui, est journaliste à Libération. Chaque jeudi il anime la chronique Le Goût du Levant. Pour lui, mettre des mots sur la cuisine et l’univers d’Alexandre Couillon est « relativement simple ». Il utilise, à son habitude, « les outils du reportageJ’ai regardé et écouté Alexandre, et à partir de ce que j’ai vu et entendu de son travail, mais aussi des balades dans l’Ile avec lui, il a été extrêmement enthousiasmant et jubilatoire d’écrire. Le texte de ce livre, pour moi c’est une sorte de reportage au long cours… C’est un reportage qui dure une semaine, ce sont les plus magnifiques conditions de travail pour un journaliste. Ce sont deux carnets de notes remplis et un bonheur comme peu de fois professionnelles, j’ai eu… ».

Et donc, plus concrètement ? « Je suis resté dans les pattes d’Alexandre en cuisine, dès 7h30. Quand on va au garde-manger, quand on va dans son jardin arracher des légumes. Puis la cuisine démarre, on prépare les fonds, les bouillons, on va suivre le service du midi, l’après-midi on reparle de cuisine, puis le service du soir. L’idée était vraiment d’être dans le tempo d’Alexandre et dans ses pas. L’idée c’est aussi surtout de regarder comment il invente, comment il ajuste, l’humeur du jour va lui inspirer tel ou tel plat. »
 
Troisième comparse de cette belle aventure créative, Laurent Dupont. Pendant presque un an, le photographe « qui aime la cuisine » a pris plus de 8000 photos et n’en a gardé que 250 pour le livre : « Cela fait beaucoup de photos. Ce qui est compliqué, c’est de faire un ensemble assez homogène et de ne pas partir dans quelque chose de trop abstrait aussi. Essayer d’emmener le lecteur vers un entre-deux, dans un voyage au plus près d’une vérité et en même temps de dégager une poésie et un certain univers. Ce n’est pas la sélection qui est compliquée, c’est la sélection finale de la mise en page », mais surtout, Laurent Dupont voulait éviter à tous prix de faire des photos que tout le monde avait vues pour « quitter la carte postale un peu généraliste ».
 
Laurent Dupont résume très bien ce beau Marine & Végétale en parlant, lui aussi du côté insulaire du chef et de Noirmoutier en général : « L’Ile est très différente. Entre le Nord, le Sud, l’Est, l’Ouest c’est très variable. Je pense qu’Alexandre ne ferait pas la même cuisine s’il était sur le continent, et je pense que notre perception de sa cuisine ne serait pas la même s’il était sur le continent. »
 
Si ce livre, comme beaucoup, est un instantané de vie dans une carrière de cuisinier, Alexandre Couillon ne dit pas non à un prochain livre dans quelques années : « Aujourd’hui, nous l’avons fait là parce qu’il fallait le poser, il fallait que nous soyons dans ce moment-là. Et peut-être que demain nous en ferons un autre. Peut-être différent, peut-être sur un sujet précis, mais toujours avec des gens que l’on aime. »
 

Photo Laurent Dupont

Marine & Végétale
Alexandre Couillon / Jacky Durand / Laurent Dupont
Éditions de l'Épure
42 euros

 

Mots-clés : alexandre couillon - noirmoutier chef - ile livre photos

 

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