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Alexandre Couillon : "Chef's Table m'a fait comprendre ce que je faisais ici depuis 18 ans"

Ecrit par Fred Ricou le 31.08.2016

C’est certainement la meilleure série documentaire sur la cuisine et les cuisiniers. Chef’s Table revient vendredi 2 septembre sur Netflix pour la troisième saison et celle-ci est entièrement consacrée à la France. Quatre épisodes, quatre chef(fe)s de très grand talent, quatre humains dont la destinée les a menés à tout donner pour rendre heureux leur client le temps d’un repas. Alain Passard, Michel Troigros, Adeline Grattard et Alexandre Couillon sont les « héros » de cette nouvelle saison. Nous voulions en savoir un peu plus. Rencontre avec Alexandre Couillon, ce chef insulaire et ses deux étoiles… 



Photo Netflix

 

7 de Table : Qu’est-ce qui vous décidé à répondre « oui » à la proposition de David Gelb de faire partie de Chef’s Table ? 

Alexandre Couillon : Je pense que c’est comme beaucoup de choses. Quand on crée une maison comme la nôtre, nous sommes arrivés en 1999 (NDLR : à Noirmoutier), ce sont des choses que l’on n’a pas vécues, mais que l’on a toujours pensées avant. On s’est dit un jour « Pourquoi nous n’aurions pas un restaurant comme cela ? » et quand la première saison est sortie, j’ai regardé tous ces chefs qui sont vraiment exemplaires, qui sont dans des mondes, dans des structures différentes… et l’on a toujours une petite pensée « Si un jour il faisait un documentaire sur nous… » et finalement ça nous échappe un peu, on est dans un quotidien qui nous rattrape tous les jours.

 

Alors, quand ils m’appellent pour me dire « Vous connaissez Chef’s Table ? » on se dit juste « Ouahh ! ça tombe sur nous ! ». C’est quand même une référence qui est diffusée en France, mais avec des chefs internationaux. On ne réfléchit même pas, on dit « Vous êtes sûr ? Vous ne vous êtes pas trompé ? C’est bien nous ? »… 

 

Passard, c’est le roi des légumes. Un chef atypique qui a créé son univers sur Paris. C’est le roi de la flamme, du geste. Troigros, c’est une maison de famille qui a évolué. Adeline Grattard, c’est génial d’avoir mis une femme comme elle. Elle a une formation chez Pascal Barbot, il y a toutes ces choses-là, son univers, son mari…

Et nous, peut-être un peu l’OVNI, élève de personne, c’est ce qu’ils veulent aussi.

 

7 de Table : Est-ce qu’ils vous ont dit pourquoi ils vous avaient choisi ? 

Alexandre Couillon : Ils ne nous l’ont pas dit. Mais d’après ce que j’ai lu dans un papier, David Gelb ne s’est pas trompé. Les quatre chefs sont très différents. Et partager l’affiche avec Passard et Troigros c’est une sacrée référence pour moi.

 

Quand on a fait les 8-10 heures d’interview, à la fin, je remercie le réalisateur et il me dit « Non, il ne faut pas nous remercier », je lui réponds que si, je le remercie parce que je viens enfin de comprendre ce que je fais depuis 18 ans sur Noirmoutier et je rajoute « Pourquoi moi ? »

 

Au début du travail qu’ils ont fait, ils sont restés une semaine, à la fin il me dit « Je comprends mieux pourquoi nous sommes venus… Je comprends mieux votre histoire. »

 

Ce n’est pas un documentaire sur la cuisine, on n’est pas là pour parler bouffe. C’est juste l’histoire d’un mec, d’un couple, qui arrive dans un endroit, natif ou pas d’ici, et qui ouvre un restaurant et qui essuie de grosses déceptions, qui se lève le matin en se demandant s’ils continuent. C’est ce que ça retrace. Je pense que ce qui est important pour ce reportage, comme pour ce que l’on essaye de construire au quotidien, c’est pour demain, mais c’est aussi pour toutes les générations à venir.

 

Quand David Gelb à fait son premier film Jiro Dreams of Sushi, il y a une phrase qui m’a marqué. Quand on pose la question au Chef Jiro « Mais pourquoi à 90 ans, travaillez-vous encore ? » il répond « On impose le respect par le travail… ».

 

Avec mon épouse, nous sommes là depuis 18 ans et l’on commence à imposer le respect avec notre travail parce qu’aujourd’hui, moi, je ne suis pas un chef star. Ça ne m’intéresse pas. J’ouvre la maison, je ferme la maison, je sors les poubelles… C’est ce que je dis dans le reportage quand il me pose la question de pourquoi je n’ai pas un second (NDLR : en cuisine) : J’ai travaillé nous étions deux, puis trois, puis quatre, cinq, six. La maison a grossi, mais je suis toujours là, je dois être là. Je dois être présent.

Bande-annonce Saison 3
 

7 de Table : Comment avez-vous fait pour rester naturel face aux caméras ? 

Alexandre Couillon : Je ne me suis pas posé de question, cela a été très vite. Je leur ai dit « Je serais présent avec vous » et je me suis laissé guider. Déjà je les ai reçus… David Gelb m’a dit « Il y a des chefs qui m’ont dit “merci” et d’autres qui m’ont dit “de rien”. » Dans les quatre chefs, nous avons des identités et des choses différentes. Nous, nous les avons reçus, comme un projet qui allait aboutir. Au bout d’une semaine, quand on les a sur le dos de 7 h à minuit en non-stop, il y a des liens qui se forment. On a été présent pour eux. Il n’y a pas eu de barrière entre eux et nous, c’est pour ça que nous sommes restés naturels. C’est comme dans la cuisine : on raconte des histoires franches et sincères. Nous ne sommes pas là pour faire du spectacle.

 

7 de Table Vous avez vu le résultat ? 

Alexandre Couillon : Non, nous avons vu des rushs quand ils étaient sur place. On va le regarder vite fait le documentaire parce que je n’aime pas me voir, je n’aime pas m’entendre parler. Après je l’ai fait et j’espère que ça va nous donner une visibilité à l’étranger, que l’on commence un peu à avoir, pour faire voir que l’on travaille aussi pour ça, qu’il y des gens aux alentours, des artisans, une île, et il faut faire venir des jeunes. Il faut qu’il y ait ce moment de transmission pour que tous ces gamins de l’autre bout de la planète puissent venir dans nos cuisines et changer et travailler sur d’autres projets, d’autres histoires.

 

7 de Table : Il y a un terme qui est revenu sur les deux autres saisons de Chef’s Table, c’est le mot « inspirant ». Est-ce que vous vous reconnaissez dedans ? 

Alexandre Couillon : J’espère ! Quand on a ouvert le restaurant, on faisait un maximum de choses. On essayait de trouver notre voie, c’était un peu compliqué. On disait toujours « On n’en fait pas plus que les autres, on en fait autant ». Aujourd’hui, j’espère que l’endroit où l’on est va être reconnu. On espère créer une émulation. J’ai regardé tous les épisodes. On arrive à puiser et à plonger dans l’univers des chefs et ça c’est important. C’est une fiction, certes, mais il n’y a pas de trucage.

 

7 de Table : Pour vous, c’est un instant de vie, ce documentaire ? 

Alexandre Couillon : Oui. Il nous est arrivé cela l’an dernier et là, mi-novembre je sors un livre aux éditions de l’Épure (NDLR : Alexandre Couillon : marine et végétale), les photos sont de Laurent Dupont et il est écrit par Jacky Durand qui travaille à Libération. Mais ce n’est pas un livre de cuisine, il y a 26-27 recettes qui ont été retravaillées pour le grand public. C’est un livre portrait. J’ai eu 40 ans l’an dernier et c’est un moment de ma vie ou j’avais besoin de mettre des choses à plat. Il y a beaucoup de photos sur le gestuel. Ce n’est pas un livre de chef, pas un livre prétentieux, pas un grand format. C’est un livre avec une touche très personnelle. On est plus dans un livre d’art… Et pour Netflix, c’est pareil !

 

7 de Table : D’une façon humoristique, cela vous a servi un peu de psychanalyse ?

Alexandre Couillon : Oui ! On dit souvent que l’on ne travaille pas pour la gloire, mais l’on a besoin d’une certaine reconnaissance pour nous et le travail de nos équipes. On leur dit « vous savez, on sait que c’est un travail dur et stressant ». Là je sais que tout le monde est en ébullition, tous ceux qui ont travaillé sur le projet l’an dernier et cette année veulent enfin le voir. C’est un moment de reconnaissance d’avoir été choisi parmi tous les grands chefs que nous avons en France aussi bien ancienne que nouvelle génération. Je trouve ça génial !

 

7 de Table : Et après, vous y pensez ? 

Alexandre Couillon : Je pense que ça va bouger pas mal. On est déjà bien remplie sur l’année, ce que l’on n’avait pas avant. J’ai entendu dire sur cette émission que les gens qui vont le regarder à l’autre bout de la planète vont venir et faire ce voyage en fonction de leurs vacances. Mais ça ne changera pas la nature du chef, la mienne en l’occurrence. Demain, je serais toujours là, j’ouvrirais toujours mes portes, j’irais chercher mes légumes au jardin comme ce matin…J’ai aussi envie que des gars qui ont travaillé en 2000 avec moi se disent « Il est toujours là, il n’a rien lâché… »

 

Restaurant La Marine
Port de l’Herbaudière
85330 Noirmoutier en l’Ile

 

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