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Ibrik Kitchen : Quand y'a du monde aux Balkans

Ecrit par Fred Ricou le 19.03.2019

D’un point de vue gastronomique, certains pays ont rapidement conquis Paris et le reste de la France. Ainsi, si depuis les années 70-80, les restaurant chinois ou japonais sont rapidement arrivés à prendre une place dans les sorties, certains pays sont longtemps restés à la traîne. Peut-être font-ils moins rêver dans l’imaginaire collectif ? Possible. Les Balkans ne se résument pas qu’à une actualité pas toujours très drôle, la gastronomie y est pourtant délicieuse … 

 
Ibrik Kitchen - Photo Pierre Lucet Penato

On se fait un Italien, ce soir ? Un Japonais ? Un Indien ? Oui ! Bien évidemment que oui ! On connaît ces cuisines, on les connaît même parfois si bien que l’on va essayer de refaire les plats à la maison. La France fait partie des pays où la gastronomie est la plus riche, à la fois pour son histoire personnelle, mais également pour ses différentes migrations qui ont apporté souvent du renouveau dans les spécialités locales. Si une partie de la gastronomie du Nord de la France est librement inspirée de celle de la Belgique et du Royaume-Uni, la cuisine du Sud de la France est, quant à elle, en droite ligne de ce que l’on peut trouver dans le fameux bassin méditerranéen. 

De manière un peu plus importante, la cuisine des Balkans est elle aussi, à sa manière, une cuisine d’influences. Officiellement, est dit « Balkans » l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Grèce, maintenant et en moindre mesure, la Croatie (les régions de la Dalmatie et de l’Istrie), la province du Trieste en Italie, la Serbie (au sud du Danube), le sud de la Slovénie, la région de la Dobrogée en Roumanie, ainsi que la partie européenne de la Turquie (On dit merci qui ? Merci Wiki ! ). Quand on a dit cela, on peut déjà esquisser une rapide physionomie de ce que ce peut être la gastronomie des Balkans. Du fait des multiples invasions qui ont jalonné l’Histoire de la région, les brassages culturels et, par conséquent culinaires, ne pouvaient qu’être très présents.

Récemment, pour changer un peu des restaurants folkloriques autour des Balkans, un nouveau lieu vient d’ouvrir pour donner une autre place à cette gastronomie, Ibrik Kitchen. Sa créatrice, Ecaterina Paraschiv, apporte un kosava nouveau, le vent typique des Balkans, sur l’offre culinaire parisienne très loin des quelques restaurants qui proposent, décor kitch, accordéons et autres photos en noir et blanc de charrettes tirées par des chevaux anguleux. 

Après Ibrik Café, un coffee shop, qu’elle crée en mars 2017, en hommage à sa grand-mère « une faiseuse d’Ibrik » ce café moulu très fin que l’on sert dans les Balkans, elle prend la décision de continuer l’hommage en « travaillant sur les souvenirs de son enfance » en voyant plus grand : « Quand on a vu que la cuisine des Balkans pouvait marcher, on s’est dit, on y va ! J’allais pouvoir assumer un peu plus mes origines, chose que je ne faisais pas entièrement jusque-là. J’avais peur que les gens ne comprennent pas le concept …» 

Née en Roumanie, elle arrive en France un an après son père, avec sa mère en 1987. Réfugié politique, le père d’Ecaterina est artiste plasticien (il est venu chercher un prix en France qui lui a permis ainsi d’obtenir son visa). Fasciné par ce nouveau pays « où il y a de la couleur ! », c’est le choc pour cet artiste de voir qu’il y a même de la couleur dans les poubelles …

Plus tard, vers ses 14 ans, Ecaterina y retournera plusieurs fois « pour comprendre d’où je viens … » et là, c’est la découverte d’un pays un peu plus « bordélique » qu’en France, mais aussi la surprise dans les goûts « Un vrai concombre, une vraie tomate, de la viande goûteuse, des fromages faits par des bergers … » Tous ces produits qui étaient déjà en France mais de moindre qualité. Là où la France travaillait depuis de nombreuses années des quantités industrielles avec des produits plus ou moins dangereux, la Roumanie, trop pauvre pour en acheter, faisait une sorte de bio sans savoir que cela en était. 

90% des produits d’Ibrik Kitchen viennent de Roumanie : « C’est un gars qui fait des allers-retours entre la France et la Roumanie, avec son petit camion, qui apporte les produits des Balkans pour les gens des Balkans, en France » ainsi les délicieux petits beignets, les papa-nashi "#beignetsdamour", que l’on trouve en dessert n’auraient absolument pas le même goût si les produits étaient français.

Avec une carte justement construite à partir de livres de cuisine, de livres d’Histoire et de souvenirs personnels et bien entendu, avec la collaboration des chefs roumains avec qui Ecaterina travaille, elle va créer une carte aux multiples influences. Si à la carte, on trouve du houmous, du pastrama (oui, oui l’ancêtre du pastrami …) ou encore une sauce à l’ail (que l’on trouve également dans la cuisine libanaise …) c’est avant tout pour montrer que ces mets sont tous d’une même origine. Ecaterina appuie bien sur les termes « nous ne sommes pas un restaurant Roumain, tout ce que l’on propose à notre carte se retrouve dans d’autres pays. Il faut rester humble, nous n’avons rien inventé … ». Comparativement, si la cuisine des Balkans est peut-être un peu moins riche que la cuisine française, elle cultive l’art des plats mijotés pendant des heures. Parallèlement à cela, un peu comme les Allemands et les peuples d’Europe Centrale, la cuisine des Balkans est très carnivore et le barbecue en est l’un des piliers : « Nous sommes des peuples du feu » affirme la responsable d’Ibrik KItchen. 

Alors qu’aujourd’hui, on redécouvre avec ravissement dans certains restaurants les fermentations, les salaisons et les fumaisons, elles sont l’ADN de cette cuisine des Balkans du moins, pour la plupart des peuples. Pour le pastrami - bien avant que les communautés juives ne l’apportent aux États-Unis durant la vague de migration du début du XXème siècle - ses racines sont directement roumaines. 

Pour cette ancienne avocate fiscaliste qui voulait trouver un véritable métier « constructif », la cuisine des Balkans est plus que de la nourriture proposée à des clients : « Je suis sur une démarche culturelle, philosophique, et complètement assumée. J’aime savoir ce que je suis en train de faire, j’ai envie de comprendre pourquoi j’assemble deux produits, pourquoi je prends telle recette et d’où elle vient et comment on la mangeait. Il y a un message derrière. C’est un moment d’histoire entre deux personnes. » Proposer cette cuisine est à la fois une redécouverte de sa culture, mais également son « médicament ». Ecaterina Paraschiv a comme projet, prochainement, de faire un livre sur le sujet pour aller un plus loin encore dans sa démarche. 

En ce qui nous concerne, nous sommes venu deux fois à Ibrik, une fois à midi, une fois le soir. Pour le dîner, nous nous sommes réellement régalés de « Peste » (à prononcé "pechté" …), des maquereaux marinés délicieux où les pickles sont à tomber et se marient divinement avec le gras du maquereau. La sauce à l’aneth qui l’accompagne est délicieuse. Un gros câlin fondant, en entrée avec les « Cheesus Christ », de la polenta braisée, fourrée au fromage, délicatement posée dans de la crème fraîche. « Le poisson des Carpates », une truite à la braise joliment cuite, accompagné d’un purée de topinambours très fine, et de petites graines de moutarde qui jouent joyeusement, ici aussi, avec l’acidité des pickles, le tout se mange avec une délicieuse sauce à l'ail. Bien évidemment, nous ne pouvions passer à côté d’un goulasch « repas de grand-mère », comme un ragoût de poulet aux pommes de terre, simple, bien fait, qui fait le job de l’hommage. 

C’est une très belle cuisine, simple avec du cœur qui attend les clients chez Ibrik Kitchen. La mission d’Ecaterina Paraschiv de faire découvrir ses origines d’une autre manière est réussie sur toute la longueur. On ne demande maintenant qu’à prendre ses billets d’avion direction les pays balkaniques pour découvrir la richesse de cette « nouvelle » gastronomie …
 

Ibrik Kitchen 
9 Rue de Mulhouse,
75002 Paris

 

Mots-clés : cuisine Europe - balkans gastronomie - Ibrik Café

 

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