Plat du jour - Législation

Bio, pesticides, politiques, Tripadvisor : les engagements de Xavier Denamur

Ecrit par Feuillerat Jérémy le 20.06.2016

Après une tribune enflammée sur TripAdvisor postée sur Facebook, le 11 mai par le restaurateur Xavier Denamur, la rédaction a décidé de s’intéresser plus à l’homme. Le restaurateur engagé l'est sur plusieurs sujets. Présent dans plusieurs films documentaires notamment République de la malbouffe, il défend trés fermement le passage à l'agriculture biologique. Fils spiriturel de Jean-Pierre Coffe, nous sommes donc allés découvrir ses combats et ses propositions pour améliorer la restauration et l’alimentation des Français dans son restaurant : La Chaise au plafond.

 
 
Vous avez créé les Vrais États Généraux de la Restauration, il y a quelques années. Quel est le but de cette organisation ?

En 2009, lorsque j’ai décidé de fonder les V.E.G.R, c’était suite à une décision de Sarkozy qui voulait obtenir l’accord de l’Europe pour baisser la TVA dans la restauration. Il décide avec Hervé Novelli – ancien secrétaire d’État chargé du commerce, de l’Artisanat, des PME, du tourisme, des services et de la consommation – et les organisations patronales de monter des États généraux de la Restauration.

 

À l’époque, les invités sont principalement les organisations patronales, Périco Légasse, des journalistes. J’avais demandé à en faire partie, pour donner une parole autre. Bernard Boutboul, un communicant et consultant pour la restauration, a organisé les EGR avec le gouvernement. Dans le film République de la Malbouffe, je lui pose la question : « Pourquoi vous ne parlez pas de ce qu’il y a dans l’assiette ? » Il répond : « C’est trop compliqué pour en parler avec le grand public. » (Rires), c’est comme si on faisait des États généraux de l’Automobile sans parler de ce qu’il y a sous le capot des voitures.

À partir de là, je vois bien que ce sont les lobbyings qui manipulent. C'est en réaction que se montent les V.E.G.R dans le sens où l’on va parler des problèmes qu’il y a dans l’assiette (restauration, travail non déclaré, caisses enregistreuses, manque de personnel). D’ailleurs, il y aura une dépêche AFP à la première réunion des EGR disant : « Alors que l’on va baisser la TVA dans la restauration pour régler les problèmes, Denamur dit que cela ne réglera pas les problèmes, cela les mettra en avant ». Depuis 2009, au lieu d’avoir vu régresser le problème, on l’a montré. J’avais fait des propositions sur les V.E.G.R qui ont été reprises sur divers médias : je préconise de remonter la TVA, avec des contreparties pour aider la restauration à aller vers le manger mieux, recruter mieux, mieux payer les salariés et les former…

 

Être sur la transparence, pour moi, c'est d’abord défendre « la restauration traditionnelle », celle qui fait le boulot de restaurateur – transformer des produits bruts frais et de les cuisiner sur place. Là où je demande la transparence et on y arrivera, c’est sur le label « Fait Maison » que l’on a obtenu l’année dernière, en modifiant le décret en 2014 avec la ministre, car le premier décret ne convenait pas. En fait, je lance toutes sortes de pistes. Les V.E.G.R devaient permettre aux citoyens, aux restaurateurs de pouvoir débattre et d’avoir aussi la parole parce que finalement, dans les EGR, le consommateur et les salariés ne sont pas consultés.
 

L’idée était, sans langue de bois, d’amener des sujets qui fâchent et de dire ce qui marche bien et aussi ce qui ne marche pas bien. Comment peut-on améliorer les organisations patronales de la restauration qui sont plutôt assujetties à de grands groupes ? Le problème, c’est que les restaurateurs n’ont pas compris à ce moment-là et que les gens ne voient que des intérêts à court terme. 
 


Il y a quelques jours nous avons fait paraître un article qui remettez en cause le système Trip Advisor, il y avait également une tribune vidéo que vous aviez faite et l’article a été énormément consulté. Est-ce que vous avez eu des retours de politiques ou d’autre, suites à cet article ?

Il y a encore eu des gens qui me disent qu’ils ont vu mon coup de gueule sur TripAdvisor. Je crois que pour les gens, ce système de notation où tout le monde peut noter tout le monde et qui a presque valeur de vérité ne plaît pas. Surtout que ces entreprises, pour gagner de l’argent, ne sont pas toujours claires. Après les commentaires, ce sont des choses qui sont vues des centaines de milliers de fois et ça peut exercer une influence. L’idée, c’est d’avoir une incidence sur celui qui décide là-haut, le législateur. Ce n’est pas toute de suite que ça vient, il va y avoir cette vidéo, votre papier puis un autre dans la presse et à partir de ce moment-là le législateur arrive : il attend que ça bouge pour bouger au lieu d’être en amont.

 

Pour TripAdvisor, mon objectif est de rencontrer députés et sénateurs et aboutir à une proposition de loi qui ajoute un amendement obligeant les sites à présenter liens qu'ils ont avec les restaurants mis en avant. Ce que je reproche, c’est un peu comme le publirédactionnel : cela doit explicitement être mentionné dans les médias, pour ne pas les confondre avec de vraies informations. L’idée de TripAdvisor, c’est l’histoire des « restaurants similaires » qui payent à La Fourchette une commission ou qui font, à leur demande, des réductions. Et nulle par c'est dit : on doit avoir une information qui permet de ne pas tromper le consommateur.



Qu’est-ce qu’il faudrait faire, d’après vous ?
L’idée, c’est que tous les onglets proposent le « book a table » – réserver une table. Chez moi, ce n'est pas possible parce que je ne suis pas affilié. Il faudrait un dispositif sur le site qui indique que TripAdvisor a une filiale nommée La Fourchette et que les restaurants où il y a marqué « book a table » entretiennent un lien commercial. Pour les restaurateurs qui ne sont pas affiliés, comment les clients arriveront-ils dans le restaurant ? Ils ne pourront pas réserver et iront donc sur les « restaurants similaires » où ils peuvent réserver. Il est indispensable qu’il y ait une mention indiquant que le restaurant n’est pas affilié, mais qu'on peut réserver depuis le site ou par téléphone et une autre pour les restaurants similaires affiliés. S’ils veulent les mettre en avant qu’ils l’indiquent, mais qu’ils ne profitent pas de la visibilité d’un restaurant pour faire de la pub pour un restaurant qui leur rapporte de l'argent !
 

 


Vous pensez que La Fourchette entraîne une concurrence déloyale ?

Effectivement, des clients étrangers à qui on a parlé de mon restaurant, se rendront sur ce site et réserveront un des restaurants similaires, en se fiant à cette idée de similarité. À la rigueur, ce serait vraiment des restaurants similaires qui ne sont pas affiliés à La Fourchette, ça irait. Par exemple, le restaurant « Les Philosophes » c’est chez moi et le restaurant similaire qui m’appartient c’est « La Chaise au Plafond ». Ou même un de mes voisins, Robert & Louise qui est un plus loin et très bien.

Ce que j’avais proposé dans le quartier et qu’on devrait faire, c'est une charte des restaurateurs qui travaillent dans le même esprit. Ça donnerait un dépliant d’une dizaine d’adresses que l'on présenterait aux clients, avec l'assurance que ce sont des restaurants similaires. C’est entre nous et on s’accorde à la majorité générale pour savoir ce que l’on met sur la carte. Ainsi, les clients disposent  d'adresses autour d'eux. On met en place une sorte de TripAdvisor à l’envers où la similarité et la transparence sont garanties par les restaurateurs, avec une charte éthique sur les produits.



Vous êtes également extrêmement engagé contre les pesticides néonicotinoïdes, vous pouvez nous en parler ?
En Seine-et-Marne, il y a des problèmes d’eaux colossaux avec la résilience de produits interdits, il y a 20 ou 30 ans que l’on retrouve dans les nappes phréatiques et dans l’eau courante. D'ailleurs, les agriculteurs qui utilisent des pesticides n'obtiennent pas d'arrêt maladie de la Mutuelle Agricole. On connaît les problèmes du point de vue de la santé, pour les nappes phréatiques, dans la terre et dans l’alimentation. Si cela a des avantages, ça a beaucoup d’inconvénient : comme les médicaments, il faut toujours regarder si l'on ne va pas tuer le malade, sous prétexte de le sauver.

À partir de là, les choix d'agriculture faits dans les années 50-60 opérés par De Gaulle, sont calqués sur le modèle américain… Cela parce que les Américains ont une production de tracteurs et de traitements qui commence à arriver. On a considéré que ce modèle était bon. C'est une vision que l’on retrouve dans les pays d’Amérique Latine ou même en Asie où l’élevage en batterie est un modernisme. L’utilisation des tracteurs gigantesques avec pesticides, pareil, alors que nous disposons d'une expérience aujourd'hui qui démontre le contraire. Des études indiquent que ces produits sont dangereux, cancérigènes qui détruisent la nature, les pollinisateurs. Ça pose un réel problème et il y a urgence !

On pourrait servir d'exemple, en devenant la première terre sans gaz de schiste, sans OGM, sans pesticide et organiser une autre agriculture. Pas du jour au lendemain, bien sûr : il faut poser les choses clairement en donnant des préconisations sur la P.A.C ou l’utilisation de produits interdits par la loi Labbé – qui empêchera les pesticides sur le domaine public et les jardins dès 2018. L’idée, c’était sur l’agriculture conventionnelle, l’agriculture de manière générale, on peut supprimer les pesticides néonicotinoïdes et faire autrement. Ils auront moins de production – 50 quintaux par hectare au lieu de 100 ! –, mais pour que le marché soit en bio, il faut pointer la possibilité et les aider à changer. Il faut tout un système, c’est un choix de plan stratégique sur des lois de programmation, et du temps pour réussir à faire changer ça.

Sur certains produits comme les néonicotinoïdes, on sait que ça a un effet dévastateur sur les pollinisateurs – on assiste à un effondrement aux États-Unis. Ça coûte des milliards de dollars chaque année pour aller polliniser les champs et les paysans doivent payer de plus en plus cher. Ils déplacent des camions avec des abeilles pour les faire venir. Les abeilles sont comme nous : si elles mangent varié, elles sont en meilleure santé. Et si c'est toujours la alimentation, au bout d’un temps, on tombe malade. D’ailleurs, les abeilles résistent souvent mieux même s’il y a des champs autour pleins de pesticides parce qu’elles y vont moins. Je connais personnellement des agriculteurs qui perdent des ruches régulièrement et qui sont uniquement entourés de champs d’agriculture conventionnelle donc l’idée serait que la diversité alimentaire permette d’être en meilleure santé. Après concernant les pesticides néonicotinoïdes qui créent une désorientation, leur interdiction est nécessaire.

Pesticide spraying
jetsandzeppelins, CC BY 2.0
 

Qu'est-ce qu'il faut faire alors ? 

À un moment, il faut revoir les méthodes de l'agriculture : les agriculteurs qui sont passés du conventionnel au bio doivent aider les autres. Montrer qu’ils ne s’en sortent pas moins bien voire mieux, qu’ils ne sont plus malades et qu’ils sont fiers de ce qu’ils font. On doit travailler par l’exemple. Certains paysans sont des producteurs avec 300-400 hectares qui ne vont pas dans leurs champs et envoient des ouvriers agricoles. Eux sont souvent malades du fait des produits ou alors ne sont pas fiers de ce qu’ils font parce qu’ils savent pertinnement que ce n’est pas bon. On entend des paysans affirmer qu’ils ne mangent pas leurs cultures. Ils font leur potager à côté sans traitement, mais donnent à manger pour les autres des produits traités.

Le paysan à côté de chez moi va traiter cette année, et ce sera la dernière fois : j’ai fait les photos pour montrer qu'il grille tout mon bord de terrain avec ses pesticides. S’ils n'acceptent pas une distance de sécurité de 200 mètres par rapport aux habitations qu’au moins leur tracteur n'ait pas le droit de passer à moins de 10 mètres. Ils demandent bien que l'on ne plante des arbres de plus de 2 mètres à moins de 3 mètres des champs. Les agriculteurs supportent mal que je leur dise ça, ils me prennent pour un parisien. 

 

J’ai fait une maîtrise de géographie dont le rapport était « inadéquation entre production agricole et croissance démographique » donc j’étais un peu sur les problématiques agraires. J'ai aussi passé 6 mois dans des fermes en Asie du Sud-Est sur tous les problèmes des entrants chimiques et surplus européens. Les réformes agraires je connais bien, j’étais toujours sur ces sujets. Je me suis rendu en Seine-et-Marne dans un hameau entouré de ferme. Il y a une vraie demande des citoyens même si au début on n'est pas nombreux petit à petit, le bruit augmente et le nombre de personnes contre les pesticides grandit. On le voit, il y avait 4 ou 5 millions de téléspectateurs devant « Cash Investigation ». Les députés qui ne font pas leur travail de défendre la grande majorité et répondent aux injonctions de la FNSEA et des vendeurs de produits phytosanitaires, ce n’est pas possible. On le voit dans l’émission, ils sont autour d’une table avec Bayer : leur business n'est pas très clair. Ils sont invités pour être informés, mais ils se font payer le resto, etc. Après, c’est un peu plus dur de refuser d’aller dans le sens des lobbys.



Le bio, c'est la solution ? 
J’avais proposé à la fin de mon livre des propositions par rapport à la P.A.C, d’ailleurs j’ai demandé à mes producteurs de passer en bio d’ici 2020 – ils disposent d'un temps d'adaptation. De toute manière la terre ne se convertit pas en 4-5 ans, en réalité elle a besoin de 15 à 20 ans avant de retrouver un peu de sa flore. La proposition est de maintenir les aides de la PAC pour les agriculteurs et même un petit plus, mais en convertissant au moins 10% de la production tous les 5 ans en surface cultivée bio. Le bio implique juste un déplacement de coûts, ça ne coûte pas plus cher, c’est juste un autre travail.

Il y a un coût au niveau salaire, ce qui crée des postes, et un coût au niveau passage, car de temps en temps l’agriculteur passe dans ses terres et met des produits.Avec le bio il faut passer tout le temps, se montrer vigilant, c’est un autre travail. Le coût financier est souvent équivalent : on décale ce que l’on mettait dans le produit on va le mettre dans le développement en achat de machine moderne ou de salaire. Il faut que l’accompagnement se fasse avec des ingénieurs agronomes. On devrait d’abord payer le paysan, les gens devraient savoir qui paie les paysans. Pourquoi laisser aux intermédiaires prendre autant de marge ? C’est pour ça que je n’utilise pas d’intermédiaire.


Le Sénat a refusé l’amendement sur les pesticides néonicotinoïdes … quelles actions souhaitez-vous faire ?
Je vais inonder de mails les députés en disant « est-ce que vous cautionnez le fait que l’on continue de tuer des abeilles ou est-ce que préférez faire en sorte en ne votant pas cette loi d’avoir une écoresponsabilité ? ». On lui demande quel sera sa position, on lui fait comprendre qu’en fonction de sa position on décidera ou pas de voter pour lui aux prochaines législatives.


Vous seriez tenté de vous présenter aux élections législatives de 2017 ?
Il y a de grandes chances que je n’y échappe pas puisque j’ai lancé ce truc-là. Ça ne serait pas dans un parti. L’idée est de prendre le pouvoir par les urnes et diriger ce pays sans être un professionnel de la politique ni appartenir à un parti politique. Je sais que si demain je devais être élu, je ne veux pas cumuler les postes. Par contre, je garde mes entreprises, c’est un ancrage dans la réalité avec mon personnel, pour comprendre tous les sujets d’un point de vue fiscal, social, entreprise, de le voir traduit dans les faits.

 

Mots-clés : malbouffe xavier denamur - restaurant V.E.G.R agriculture - pesticides pollution agriculture

 

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