Plat du jour - Environnement

Antonin Bonnet : « La viande a un vrai coût économique ! »

Ecrit par Fred Ricou le 02.09.2020

Antonin Bonnet, chef de son restaurant étoilé Quinsou est également devenu depuis quelques mois, le propriétaire de sa boucherie. Avec une très belle cuisine de produits d’un côté et de l'autre des débats sociétaux sur la place de l’animal dans l'assiette ou pas, nous sommes allés à sa rencontre. 
 

Photo 7deTable.com
 

Comment passe-t-on de chef restaurateur à propriétaire d’une boucherie ? Est-ce en se disant que l’on est jamais mieux servi que par soi-même ? 

Non, pas du tout. J’y suis arrivé… par accident. Cela faisait déjà plusieurs années que l’on faisait entrer au restaurant les animaux en entier, ou à moitié, pour pouvoir avoir différentes découpes et assumer différentes recettes. Dans certains restaurants où j’ai travaillé, je voyais les gars commander un poisson et n’utiliser que le milieu. Si tout ne partait pas à la poubelle, le poisson n’était pas utilisé à son maximum. Dans l’animalité, il y a de vrais morceaux qui sont des bonheurs gustatifs, et d'autres qui demandent d’autres qualités de cuisinier, d’autres recettes et qui sont toutes aussi bonnes. Cela permet de travailler aussi sur d’autres économies. Sur le filet de bœuf, on fait moins de marge mais sur d’autres, elle est bien meilleure ! On travaille mieux, et cela permet d’avoir des coûts plus équilibrés. 

Qu’est-ce que cela change pour vous d’avoir votre propre boucherie à disposition, à deux pas de votre restaurant ? 

Nous avons une relation avec les producteurs encore plus poussée. Nous avons de vrais professionnels qui connaissent les morceaux et qui sont capables de dissocier l’animal de façon beaucoup plus pointue. On le faisait déjà avant, mais maintenant c’est de manière beaucoup plus éclairée. 

Comment se fait le lien, directement, entre Quinsou et la Boucherie Grégoire ?

Il y a une synergie. Nous (ndlr : le restaurant), de façon régulière, nous allons là-bas pour prendre les morceaux qui nous intéressent. On arrive le matin, on demande ce qui est arrivé le jour même. Il y a une vraie conversation, un véritable échange. C’est une sorte de va-et-vient perpétuel, un vase communiquant. Le boucher va me dire : « J’ai une épaule d’agneau, je ne sais pas quoi en faire. » Je lui réponds « Ça tombe bien, j’ai besoin de viande pour mes déjeuners de la semaine prochaine, donne-moi cinq minutes, je reviens. » Je vais voir Sophie (ndlr : Sophie Del Prado, la cheffe de Quinsou) en cuisine, et l’on en parle. Les recettes, souvent, partent des discussions… 

Cela fonctionne-t'il de la même manière dans l’autre sens ? 

L’autre jour, par exemple, ils avaient une épaule de cochon. Ils ne savaient pas trop quoi en faire. J’ai proposé de la saler, de la cuire d’une façon différente. Et finalement, sur la trancheuse, cela faisait un jambon d’épaule de cochon sublime… On a résolu un problème et l’on sait maintenant que les jours où l’on n'arriverait pas à passer l’épaule, c’est facile.
 



J’ai pu lire que vous aviez depuis tout jeune été au contact des produits et que l’on ne jetait que très peu de choses. Est-ce que c’est cela qui transparaît à la fois dans votre cuisine et dans cette boucherie ? 

Mes parents ont acheté une ferme quand j’avais 9-10 ans, et rapidement, il y a eu des animaux. Qui dit « animaux », dit qu’il faut manger. Si l’on voulait un lapin, il fallait tuer le lapin, si l’on voulait une poule, il fallait tuer la poule. Quand on fait cela, il y a toute l’animalité qui vient avec. On ne prend pas juste la cuisse et l’on jette le reste. Pour le lapin, ma mère faisait une terrine avec les avants et autre chose avec l’arrière. Il y avait une économie naturelle et… un bon sens paysan. Je veux bien croire au monde des bisounours et qu’il faille manger moins de viande, je suis même tout à fait d’accord, mais il y a un moment, où il y a une façon de se sustenter de manière… naturelle !

C’est étonnant, en 2015, on pouvait voir des articles où vous parliez beaucoup de légumes et en 2019 vous avez ouvert une boucherie…

Oui. C’est un joli contrepied. La boucherie était disponible à côté, le lieu est magique, c’était très beau. Au restaurant, de toute façon, on utilise de la viande. J’ai dit « Ok, on y va ! ». J’ai fait une proposition, et c’est vrai que je n’ai pas réfléchi à ça, au début. C’est vrai qu’ici, on utilise pas mal de légumes. On travaille avec trois jardins (Pierre Gayet, Château de Courances et James Edward Henry) qui sont de petits producteurs. Quand j’ai acheté la boucherie, je me suis dit que j’avais fait une connerie. L’animal, c’est le plus gros impact sur l’environnement. Aujourd’hui, il y a une grosse remise en question universelle sur le fait de manger de la viande, oui, non, et si oui, pourquoi ? Il m’a fallu une semaine pour faire le tour de la question et je me suis dit : “Si ce n’est pas toi qui la prends, ce sera quelqu’un d’autre qui ne fera pas forcément les choses comme toi tu penses qu’elles devraient être faites”. Ce moment-là a été la confirmation. Oui, on fait une boucherie. Oui, l’impact est lourd sur l’environnement. Il y a l’animalité et le fait des tuer les animaux. Mais on essaye de le faire de manière aussi respectueuse que possible, même si ce n’est jamais respectueux de tuer un animal. On s’est nourri depuis la nuit des temps et si l’on a eu une évolution intellectuelle, c’est aussi parce que nous nous sommes nourris de protéines animales. Aujourd’hui, on n’est pas encore à 100% de ce que l’on aimerait faire, mais l’on s’en rapproche…

Qu’est-ce que cela veut dire « 100% » de ce que vous aimeriez faire ? 

Connaître tous les producteurs. Savoir si tous nos producteurs élèvent les animaux dans des conditions adéquates, dans des environnements propices à l’élevage; que la nourriture soit naturelle, qu’elle soit produite sur la même ferme, que ce soit des gens qui aiment leurs animaux…

Vous allez à la rencontre des éleveurs ? 
Au maximum, oui ! 

Comment est-ce que vous voyez les vidéos que les associations comme L214 rapportent ? 

Il y a 70 ans, on a poussé l’agriculture dans l’industrie pour créer un mot : L’agro-industrie. Ce sont des modèles qui n’existaient pas avant. Il y avait le gars qui avait cinquante cochons, et il y avait cinquante gars qui avaient cinquante cochons. On a voulu rationaliser le tout, on va faire des HLM, on va mettre cinquante cochons par étage et ils vont faire pipi dans un petit tube. Ils sont tous malades et tiennent grâce à des antibiotiques. Ils sont nourris avec des aliments qui ne sont pas les leurs etc... C’est effrayant ! On a créé un système alimentaire mondial qui a besoin de cela pour survivre ! Un modèle économique qui a besoin de cela pour vivre. Aujourd’hui, L214 pointe du doigt les animaux qui sont mal vivants, mais ils devraient également montrer le modèle industriel et économique que l’on a mis en place et qui a besoin de cela pour nourrir les gens à qui l’on a promis de pouvoir acheter de la viande pas chère. La viande a un vrai coût économique ! 

C’est le fameux « Manger moins, mais manger mieux » ?

Oui ! Je préfère manger un steak en sachant qu’il m’a coûté une douille, mais au moins, je m’assure que je ne vais pas en jeter la moitié à la poubelle. 

Vers quoi allons-nous, d’après vous ? 

Nous allons certainement avoir de plus en plus de problèmes sanitaires. Si l’on ne s’applique pas un petit peu, si l’on ne freine pas un petit peu, et que nous ne sommes pas plus raisonnables, juste ce qu’il faut, cela va être très compliqué. L’eau, les volumes de terre, les habitations… Tout ceci s’additionne et il va y avoir une inflation sur le prix de la nourriture. Il va falloir trouver des solutions pour nourrir les gens de façon saine et équilibrée. Il y a cinquante ans, on mourrait de malnutrition, aujourd’hui, c’est de surnutrition. 

Qu’est-ce qu’on doit faire ? Si l’on dit aux gens qu’ils ne payeront plus leur steak haché 1 euro, mais 3,50 euros… 

C’est dur parce qu’il y a de plus en plus d’inégalités. Je n’ai pas de réponse aujourd’hui. Ce que je vois, c’est qu’il y a de plus en plus de petits restaurants, de petites boucheries indépendantes, qui essaient de bien faire les choses, qui créent un appel pour les producteurs pour faire des petites et micro-productions. Je pense que l’on va voir fleurir des artisans qui vont se remettre à communiquer, à parler. Les gens ne voulaient plus aller chez les artisans parce que « L’artisan est un voleur ! ». Il y a un moment où tu ne peux pas comparer un supermarché qui achète 100 000 tonnes de viande à l’année avec un prix fixe, et un type qui va acheter six vaches à l’année, trois chez l’autre et une et demi chez un troisième. On ne peut pas jouer pareil, ce n’est pas du tout les mêmes trucs ! Les gens doivent se rendre compte de cela. 

Est-ce que tout ne va pas trop vite ? Il y a 10/15 ans en France, on ne parlait pas forcément de tout ceci. Les inégalités qui se creusent, les vegans qui prennent de plus en plus de place dans les médias...

Je ne juge pas. J’ai lu plusieurs livres sur les mouvements végétarien et vegan, sur la « Beyond Meat », cette viande à base de soja et de jus de betterave qui remplace la viande dans certains restaurants. Il va falloir vivre avec ! Cela va faire partie du paysage. Maintenant, quand on commence à produire ça, j’ose espérer que ça ne crée pas d’autres dévers. La nature a horreur du vide. C’est-à-dire que quand on remplace quelque chose par quelque chose d’autre, cela ne soit pas pire… 


Quinsou 
33 Rue de l'Abbé Grégoire,
75006 Paris

Boucherie Grégoire
29 Rue de l'Abbé Grégoire,
75006 Paris

 

 

Mots-clés : Antonin Bonnet - Boucherie artisanale - Restaurant étoilé

 

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