Critiques - Dans les cuisines

Amandine Chaignot : "On ne peut pas être bon cuisinier sans curiosité et elle passe par les livres"

Ecrit par Fred Ricou le 14.03.2016

Devenue chef « médiatique », à peine à 34 ans, grâce à l’émission Master Chef (TF1) lors de la saison 4, Amandine Chaignot s’est éloignée des caméras pour, entre autres, s’installer à Londres et diriger aujourd’hui les cuisines de l’Hôtel Rosewood. Lors d’un passage parisien, nous sommes allés à la rencontre de celle qui a fait ses classes auprès des plus grands, dont Jean-François Piège, Éric Fréchon et Yannick Alléno.
 

 

Vous êtes installée à Londres depuis un peu plus d’un an. Comment est-ce que l’on vit et comment est-ce que l’on fait vivre la cuisine française quand on est à l’étranger ? 

Il y a beaucoup de différences culturelles entre Londres et Paris. Ils ont une sorte de « Je t’aime, moi non plus » pour la culture française, un mélange d’admiration et de douce guerre. On est vu en même temps avec envie, mais aussi avec de gros yeux…

 

Avec méfiance ? 

Oui… C’est un peu les cousins qui se regardent en chiens de faïence, qui savent qu’ils ont beaucoup de points communs, mais qui se titillent sur les petites différences.  

 

« Chef français », est-ce que ça fait toujours autant briller les yeux à l’étranger ?

Complètement. La culture française en termes de cuisine fait rêver. C’est sûr. La cuisine française est une cuisine de référence. Certes, beaucoup de cuisines ont émergé. On a beaucoup entendu parler de la cuisine espagnole, de la cuisine nordique… Je ne sais pas de quoi demain sera fait.

Toutes ces personnes sont venues à un moment ou à un autre en France pour voir, pour s’inspirer, pour apprendre les techniques. Je pense que la France, de par sa situation géographique, est un point de croisement et de cultures, d’influences culturelles, de terroirs différents. Entre un terroir du Nord Pas-de-Calais et ce que l’on peut trouver dans les Landes ou la région niçoise, il y a beaucoup de différences. Et je pense que l’on est un des pays où il y a le plus d’ouvertures culturelles…

 

Les Anglais n’ont pas ça ? 

Non. Moins… Il y a de très beaux produits. Il y de très belles productions locales, notamment en ce moment on a de très jolis choux, beaucoup de pousses, des salades, des laitues, des racines vraiment magnifiques. En revanche, pour être tout à fait sincère, au mois d’août, vous avez peut-être des cerises pendant 15 jours qui sont à peu près corrects… Les figues on n’en parle pas… C’est sûr que le climat est quand même très différent par rapport à un climat méditerranéen. On n’a pas cet éventail de ressources… 

 

Vous réinterprétez les plats anglais, parfois ? 

Oui, oui. Mais après il y a déjà des plats qui sont des réinterprétations de la cuisine française. Quand on voit par exemple un shepherd's pie ce n’est ni plus ni moins qu’un parmentier. Au fur et à mesure des années, les cultures se sont mélangées, il y a des similitudes.

On a refait un fish & chips avec de la sardine, actuellement on a un nouveau fish & chips avec du turbot, avec à la place des frites, une préparation comme un gratin dauphinois que l’on compresse et retaille comme des frites…

 

Il y a deux ans, vous avez voulu faire un livre de chef à la portée de tous. Le livre s’appelle tout simplement Amandine Chaignot (Éditions du Chêne). En fait c’est vous, déclinée en recettes ?

C’était… oui ! Un livre, c’est compliqué parce que ça met beaucoup de temps à se faire. Entre le moment où on le pense, le moment où on le fait et le moment où il paraît, il y a tellement de choses qui se sont passées...

 

Il est de votre initiative ce livre ou c’est l’éditeur qui est venu vous voir ? 

En fait c’est dû à une rencontre avec Chihiro Masui* avec qui j’ai coécrit les phases d’introduction des recettes. Chihiro, je l’ai rencontrée quand j’étais au Meurice. En fait le côté livre, on couche par écrit. Pour moi c’est figer un instant de vie et je trouvais cela intéressant. Maintenant, il y a certaines choses qui me ressemblent, d’autres qui sont complètement désuètes à mes yeux…

 

Même au bout de deux ans ? 

Ha oui. Oui même quand il est sorti, il y a des choses que je ne pouvais déjà plus voir en peinture…

 

Comment est-ce que l’on s’y prend pour réaliser un tel livre ? Quelles recettes choisit-on ? 

J’étais assez libre de faire ce que je voulais pour ce livre, sachant que la seule chose que je me suis interdite, c’était de faire des choses hyper compliquées, irréalisables chez soi. Les recettes s’adressent à des cuisiniers un peu avertis, je ne le conseillerais pas à quelqu’un qui fait une blanquette par mois, comme le challenge culinaire de sa vie…

 

C’est vrai que les recettes ne sont jamais trop techniques, c’est souvent très abordable. Il y a des termes technique, mais pas impossible si l’on s’y connaît un peu…

Oui et il n’y a pas d’ingrédient introuvable comme de la trimoline** ou des ingrédients que, nous, nous utilisons en « seau de cinq kilos »… Sinon, on fait un livre totalement grand public, d’ailleurs, si je refais un livre, il sera grand public avec une autre approche.

 

Et pour le choix des recettes ?

En fait, on a shooté plusieurs fois et c’est en fonction des images que l’on a choisi les recettes. Moi je me suis donné une liste de recettes que voulais absolument faire et l’on shootait toute la journée avec Richard Haughton. S’il y avait une hésitation sur une image ou sur une autre, c’est moi qui tranchais…

 

C’est un livre de cuisine qui parle beaucoup de vous. De votre enfance, de la façon dont vous avez vécu les différents produits dans le temps… C’était important de parler d’où vous veniez ? 

C’était important d’expliquer de quoi ma cuisine était faite. Une question récurrente que l’on pose aux Chefs c’est de « décrire une cuisine ». C’est la question la plus dure à laquelle on peut répondre. Le plus simple pour définir une cuisine, c’est d’expliquer qui l’on est et d’où l’on vient, ce qui nous touche et pourquoi ainsi que les influences que l’on a reçues et au final c’est ça qui fait l’identité d’une cuisine. Après, la technicité, ce sont des choses qui évoluent…
 

Parler de moi, c’était essayer de faire comprendre ce qu’était ma cuisine, dans quel univers je vis.

 
 

Vous avez dit que si vous refaisiez un livre, il ne serait plus du tout pareil. Il ressemblerait à quoi ?

Ce serait plutôt « la cuisine des amis », « le dimanche des amis », quelque chose comme ça… Quand je suis chez moi, je ne cuisine jamais. Les rares occasions quand je me mets aux couteaux et un tablier, c’est quand je reçois des amis, de la famille. Je pense que les trois quarts du temps, quand on ouvre un livre de cuisine, c’est ce que l’on vient chercher. On a besoin d’une idée, ou de guides pour un repas parce que l’on reçoit sa cousine, sa tante, ses voisins… Je pense que, finalement, j’irais plus vers cela.

 

Cela vous a formé, vous, les livres de cuisine ?

Oui, c’est obligé. On ne peut pas être bon cuisinier si l’on n’est pas curieux et la curiosité passe par les livres…

 

Quels sont les livres dont vous vous souvenez ? 

J’ai commencé à acheter des livres quand j’étais à l’école (NDLR : de cuisine)…

 

Jamais avant ? 

Quand j’ai grandi, nous avions le Ginette Mathiot et un autre livre, pour les enfants, c’était des recettes en bande dessinée. C’était plutôt des desserts… et c’est vraiment à 19 ans que j’ai commencé à acheter des livres de cuisine. Avant j’expérimentais. Je n’avais pas la notion et l’envie d’aller chercher des connaissances ou des techniques…

 

Aujourd’hui vous en achetez encore ? 

C’est maladif ! (rires) J’ai un rapport au papier, j’aime le papier même dans mes correspondances. Les vœux par SMS me désespèrent… J’aime ce rapport au papier, à l’encre, au temps que l’on met à écrire et à cet objet que l’on garde.

Parfois cela va être juste des livres d’images parce que la lumière, la photographie et l’esthétique me touchent. Cela peut-être aussi des livres plus historiques sur l’histoire de la cuisine, sur le rapport entre cultures, religions et les habitudes alimentaires. C’est vraiment sans fin…


*Écrivaine, autrice culinaire, et journaliste japonaise née à Tokyo.
**Sirop de sucre inverti, souvent utilisé dans les confiseries ou les sorbets.


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Mots-clés : Amandine Chaignot - cuisine curiosité - livres recette chef

 

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