Critiques - Dans les cuisines

Amandine Chaignot : "Avec la télévision, on entre dans l’intimité des gens et ils vous abordent avec leur proximité"

Ecrit par Fred Ricou le 16.03.2016

Amandine Chaignot, jeune cheffe montante de 36 ans est installée à Londres pour diriger les cuisines du prestigieux Hôtel Rosewood. Dans la première partie de cette rencontre, elle évoquait sa nouvelle vie, son livre éponyme paru aux éditions du Chêne fin 2014, et son amour pour le papier. Toujours dans la confidence, elle nous parle aujourd’hui de son succès « médiatique » dans le jury de l’émission MasterChef, des difficultés du métier et de son fidèle amour pour les Curly...
 

On va parler un peu de cuisine à la télévision. En faisant ce métier, avez-vous senti un avant et un après depuis que la cuisine à la télé est devenue extrêmement « sexy », depuis Top Chef, depuis Masterchef ?

Clairement. J’ai commencé la cuisine en 1998, c’était avant cette vague d’émission que l’on a pu avoir. Je me souviens, quand j’ai annoncé à ma famille que j’allais faire de la cuisine, j’étais soudain devenue le vilain petit canard, pas très écouté dans les conversations, du jour au lendemain. Puis, on a mis en avant ce côté créatif, ce côté un peu « people » des cuisiniers, la valeur de plaisir par rapport aux produits, la passion, etc. Là, le métier est devenu soudain un peu « glamour », on a revalorisé l’artisanat de manière plus générale.

 

Avant le C.A.P cuisine était une voie de garage et maintenant on encourage les jeunes à le faire ?

Quand j’ai commencé à Ferrandi, à cette époque là, les trois quarts des élèves étaient des cancres destinés, soit à faire de la mécanique, soit de la restauration…

 

Vous, vous n’étiez pas « cancre »...

Non, moi, j’étais la première de la classe, j’étais la bonne élève…

 

C’est ça qui a surpris votre famille ? 

Oui. J’ai commencé des études de pharmacie. J’étais la bonne élève, la discrète qui se fait oublier pour pas qu’on l’emm...

 

Et cette volonté donc de faire de la cuisine, alors que vous étiez partie sur totalement autre chose ? 

J’étais parti en pharma et milieu d’année, je me dis que ce n’est pas possible, je ne pouvais pas me projeter dans ce métier-là, il fallait que j’arrête, sans savoir ce que j’aimerais faire. Nous étions au moment des fêtes et là, je me dis qu’il me reste pas mal de temps avant la rentrée de l’année prochaine. Une copine de l’époque qui bossait dans une pizzeria me dit qu’ils cherchaient quelqu’un et j’ai atterri là dedans. J’ai servi des pizzas et je me suis rendue compte que l’on pouvait faire autre chose dans la vie que Mat’Sup/Mat’Spé, etc. et là j’ai l’idée de monter un salon de thé, de faire ma petite affaire sans forcément beaucoup d’ambition, un truc tranquille, bonne bouffe, un truc de pote…

Je m’inscris donc à Ferrandi* pendant un an et j’ai rencontré des gens qui m’ont donné envie de continuer.

 
 

On va revenir à la télévision. Comment avez-vous vécu la vôtre de médiatisation ? 

Je n’ai pas trop aimé ça. C’est vraiment un rapport personnel à l’image. Ce qui me gênait, c’était quand on m’arrêtait dans la rue, quand on me demandait des photos. Dés l’instant où vous êtes un minimum reconnu, vous êtes « redevable », et l’on n'est plus libre d’être et de se comporter comme on veut et ça, j’ai eu beaucoup de mal.

Quand le dimanche matin, on va faire ses courses et que les gens vous arrêtent pour vous parler de leur « blanquette qui est dure », on ne sait pas quoi dire… 

Avec la télévision, on entre dans l’intimité des gens et ils vous abordent avec leur proximité, ils ont la sensation de vous avoir déjà vu, de vous connaître… Mais la télé, c’est un show, vous êtes à l’écran autre que ce que vous êtes dans la vie et moi, je suis quelqu’un d’assez discret, d’assez secret, d’assez solitaire et je n’aime pas que l’on m’épie quand je suis dans la rue. J’étais vraiment mal à l’aise…

 

Est-ce que cela peut permettre d’être encore plus connue dans son métier ? 

Je ne pense pas. C’est vraiment un rapport au privé, c’est très particulier… mais bon, je n’en suis pas morte.

 

Donc vous ne recommenceriez pas ? 

Ce n’est pas ça. Professionnellement, ça m’a permis de rencontrer énormément de gens dans des domaines différents. Ça m’a ouvert sur d’autres métiers, d’autres problématiques. Ça m’a sortie de ma cuisine. On est allé se balader partout dans le monde… On a passé trois mois de tournages comme des gamins en colonie de vacances. C’était fabuleux…

 

En fait ce n’est pas le pendant, c’est le « après » qui est compliqué à vivre ? 

C’est le regard par rapport au public, oui.

 

Quel est votre petit plaisir culinaire coupable ? Quelque chose que vous adorez manger, mais dont vous avez un peu honte...

(rires) Je l’ai déjà dit, mais c’est des Curly. Et je n’en trouve pas en Angleterre, ça n’existe pas… C’est le vrai « plaisir coupable » et je peux en manger un paquet entier sans problème…

 

Vous pouvez en faire quelque chose en cuisine ?

Oui. Je l’ai déjà fait…

 

Il y a quelques semaines un événement a endeuillé le monde de la grande cuisine, le suicide du chef franco-suisse, Benoît Violier. Comment l’avez-vous vécu ? 

Je ne le connaissais pas personnellement. Je le connaissais de réputation, j’avais un de mes anciens commis qui devait entrer chez lui, il avait fait un essai deux jours avant. 

 

Il y a un esprit corporatiste dans ce métier, alors quand vous avez quelqu’un à qui vous pouvez vous identifier et qui réagit comme ça, forcément ça touche.

Je pense que la génération actuelle a mis beaucoup de recul par rapport à ça, par rapport à la pression du boulot. Je pense qu’il y a quelque chose de générationnel aussi, et, de façon générale, je trouve qu’il y a de plus en plus de gens qui ne sont pas prêts à tout sacrifier pour la course aux étoiles. Ils ont envie d’avoir une vie, profiter de leur famille…

 

On a un métier très dur. C’est certainement la première réflexion que je me suis faite quand c’est arrivé, j’avais une amie au téléphone, je lui ai dit « De toute façon, on a un métier de chien ! » et il est très facile de se couper d’une vie sociale, de perdre pied, de fonctionner dans un but, un peu utopique, de réussite. C’est une quête sans fin…

 

Vous pensez que les jeunes chefs vont refuser les étoiles, un jour ? 

C’est déjà arrivé, ça arrivera encore. Et c’est aussi pour ça que l’on a vu beaucoup de « bistrots de chefs » fleurir à Paris comme Pirouette, Zébulon, Néva, des choses comme ça. C’est une génération de chefs qui veulent se faire plaisir en cuisine, sans le poids d’être jugé et aussi accepter de temps en temps d’être faillible et de rester accroché aux gens qu’ils aiment, et de garder un cercle social. Et ne pas avoir que la cuisine dans leur vie.

Il y a beaucoup de grands chefs qui sont tellement passionnés et tellement obnubilés par leur cadre de réussite, qu’ils sont complètement déconnectés du monde extérieur. L’envers de la médaille est quand même assez noir… 

 

Comment vous, faites-vous pour y faire face ?

Je suis la première consciente que ma vie n’est pas équilibrée. J’essaye par moment de me dire que je travaille trop. C’était d’ailleurs ma résolution pour 2016, de me prendre des jours de repos, et au final, ce n’est pas évident, c’est vraiment une question compliquée.

 

*école française de gastronomie située à Paris.

 

Mots-clés : Amandine Chaignot - cuisine télévision - gourmandise plaisirs

 

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