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La Fromagerie Ruban Bleu au Québec, l'autre pays du fromage de chèvre !

Ecrit par Fred Ricou le 02.09.2019

Et si le Québec devenait cet autre pays du fromage … de chèvre ? Alors que les Québécois n’en mangeaient peu ou pas il y en a encore 40 ans, des fromageries se sont lancées dans le secteur et arrivent de plus en plus à séduire de nouveau adeptes. C’est le cas du Ruban Bleu, à quelques kilomètres de Montréal.

 

Caroline Tardif - Fromagerie Ruban Bleu - Photo 7deTable.com

 

Les lecteurs qui nous suivent assidûment le savent, nous adorons le fromage ! Début 2018, nous avions accueilli avec un enthousiasme rare la venue de la première Laiterie de Paris. Régulièrement, nous y retournons et c’est sur les conseils de Pierre Coulon, le laitier en chef, qu'à une trentaine de kilomètres de Montréal, en Montérégie, à Mercier, nous sommes allés nous balader du côté de la Fromagerie Ruban Bleu

 

Caroline Tardif et son conjoint Jean-François Hébert achètent l’entreprise du Ruban Bleu en 2004. Jean-François s’occupe des recettes et du savoir-faire quand Caroline, elle, est plus dans l’administratif, les relations humaines, la vente, etc. Un vrai couple « complémentaire ». Après 14 ans, c’est le choc. En novembre 2018, Jean-François Hébert met fin à ses jours et laisse à sa compagne et son équipe « ce beau paradis ». « Il a fallu se retourner et regarder ce qu'il en était » nous explique Caroline « avec tout le monde ici, on a réussi à s’en sortir ». Florent, la « deuxième moitié » professionnelle de Caroline, a organisé des réunions dans le dos de sa patronne pour essayer à tout prix de sauver l’entreprise et ses employés. 

 

La fromagerie, dans son état actuel, n'a que 10 ans. Installée ailleurs au départ, c’est en 2009, à Mercier que Caroline et Jean-François se posent réellement. Caroline va dessiner les plans de cette belle maison / fromagerie québécoise toute en bois. La famille aidera à la construction. Caroline au départ n’est ni architecte… ni fromagère : « J’ai acheté le Ruban Bleu, j’avais 24 ans. J’étais à l’université, mais en administration. Je voulais une entreprise, mais quoi, je ne savais pas trop… ». C’est presque un hasard qui l’amène ici. Sa sœur lui envoie une petite annonce « Le Ruban Bleu est à vendre ! ».

La fromagerie existe depuis les années 80. À l’époque, l’entreprise est tenue par un couple à la retraite, avec quelques chèvres, qui faisait plus ça pour le plaisir qu’avec une véritable volonté commerciale. À ce moment Jean-François, lui, est agronome, spécialiste des arbres fruitiers et a déjà un peu travaillé le fromage. D’ailleurs, aujourd’hui, la propriété est entourée d’arbres fruitiers de toutes sortes, « C’était sa drogue ! » nous confirme Caroline « Tous les arbres étaient travaillés, que ce soit pour l’ombre ou encore la biodiversité. »

 

Mais c’est aussi la découverte avec le fromage en tant que tel ! « Vendre du fromage au Québec est assez fastidieux. Que ce soit avec le distributeur ou encore le fromage qui bouge dans l’année, qui n’est pas toujours le même, il y a une notion de proximité avec le produit qui n’existe pas au Québec. Tout était à construire. On est beaucoup ici dans la standardisation avec des produits qui ont peu de goût, très doux, frais, mais souvent industriel. » Il faut donc se démarquer pour à la fois en vivre, mais aussi pour garder la qualité. Quand Caroline et Jean-François ont acheté le Ruban Bleu, il y avait 44 petites fromageries de chèvres au Québec, maintenant, ils ne sont plus que 19…

 

Caroline l’explique simplement, et rejoint ce que nous disait le pâtissier montréalais Patrice Demers : « En général, il y a encore 30 ans, les Québécois n’étaient pas habitués à une nourriture diversifiée. Mes grands-parents n’avaient accès à rien, de la viande, des pommes de terre, une ou deux fines herbes, ils étaient plus en état de survie. Ça ne fait pas très longtemps qu’il y a une émancipation alimentaire et gastronomique. » En dehors de Montréal, même un simple plat, comme des spaghettis, est arrivé au début des années 80. « Quand les colons sont arrivés » continue Caroline Tardif « ils avaient cette diversification : de la charcuterie, du fromage… Ils ont défriché les terres, et quand les hivers sont arrivés… toute la tradition s’est perdue, à un moment donné, ils ont dû survivre. »
 


Pendant longtemps, le fromage que l’on pouvait trouver était surtout celui « en grain », proche de la tome fraîche et qu’aujourd’hui, on retrouve surtout sur la poutine, ce plat national de frites arrosé de sauce brune de viande. Aujourd’hui, les fromages québécois se libèrent peu à peu et l’on trouve en Amérique du Nord d’excellents fromages qui peuvent rivaliser très honnêtement avec les Français. 

 

Chose qui ne doit pas faire plaisir à tous les Québécois, Caroline Tardif le dit sans ambage : « C’est la France qui a sauvé nos fromageries ! À force d’avoir des Québécois qui voyagent en France, ils ne contentent plus de ce qu’ils ont goûté, ils veulent d’autres choses. Et les Français, ici, sont la minorité invisible… Je ne pourrais pas voir quelqu’un dire que l’immigration française a été nuisible aux Québécois. Elle nous a bousculés dans ses exigences ! Le client français est plus exigent au niveau du prix, et de la qualité du produit. En revanche, il va moins demander à déguster, il va acheter. Le Québécois veut déguster parce qu’il veut vraiment savoir ce qu’il achète… » En 15 ans, les clients français ont également changé. Alors qu’ils ne voulaient pas entendre parler de cheddar, pensant que ce n’était pas du « vrai fromage », les professionnels québécois ont dû leur expliquer en long, en large et en travers ce qu’était un vrai cheddar en le rapprochant, par exemple, d’un Cantal.

Longtemps, en France, le seul accès au cheddar que nous avons eu, a été ces fromages plats, mous et carrés, sous cellophane, « goût cheddar »  que l’on achète en supermarché et que l’on va mettre dans les hamburgers, un erzatz de cheddar, en somme ...

 

Quand les Français viennent au Ruban Bleu pour déguster du fromage de chèvre et qu’il le trouve bon, l’effet boule de neige (logique, nous sommes au Québec …) est immédiat et donne envie aux Québécois d’en acheter. Depuis une quinzaine d’années, beaucoup de régions au Québec ont décidé de se tourner vers les produits locaux et d’en faire ainsi une force à la fois pour les Québécois, mais également pour les touristes. « Si c’est pour faire en région comme ce qu’il se passe à Montréal, cela ne donne pas envie d’y retourner » nous explique Caroline Tardif « Si l’on veut un retour, il faut offrir une expérience qui est vraiment propre à l’endroit. Mon rêve serait que les gens disent qu’ils ont goûté nos fromages et qu’ils doivent revenir en Montérégie pour recommencer … ». 

 

Même s’il existe dans les tuyaux de la fromagerie un hypothétique projet montréalais en association avec La Laiterie de Paris, Caroline Tardif tient à développer son côté « très identitaire » en Montérégie. Elle rêve déjà de 4 ou 5 boutiques assez proches pour s’éloigner un maximum de la mondialisation qu’elle a toujours connue : « Les gens apprécient ce coté “retour” mais aussi “folie du futur” ». Revenir vers le « tranquille », le vrai, les valeurs de la « Slow Food ». 

 

Pas d’A.O.P ni d’I.G.P au Québec et surtout sur les fromages de chèvre qui sont encore rares, on trouve au Ruban Bleu de belles créations caprines aux doux noms de Bastringue, de Tuyau de Poêle, de Pitoune, de Gigot ou encore de Sandwich. « Chaque fromagerie à sa façon de faire. Les gens vont me dire “, c’est beaucoup plus doux que ce l’on a déjà goûté” mais souvent, ils n’ont goûté que ceux que l’on trouve en supermarché ! » complète Caroline. 

 

Sur place, on découvre que le Ruban Bleu fait bien entendu des fromages, mais c’est sans compter également sur le délicieux sirop d’érable « maison » réalisé par le père de Caroline Tardif. Les arbres fruitiers plantés par Jean-François donnent de magnifiques fruits, qui servent à la fois à la confection de jus de fruits, de confitures, mais sont aussi pour la vente directe.

Cette année, des baies comme la groseille, le cassis ou encore le sureau vont entrer dans la composition d’une bière réalisée dans la microbrasserie voisine et amie, Champ Libre. L’entreprise, « tenue par un Français », Entre Pierre et Terre va également se servir de ces petits fruits pour créer un alcool et la boutique de la fromagerie le vendra. Il est également possible aussi d’acheter de la viande de chèvre - nous avons eu l’occasion de goûter les saucisses qui sont simplement délicieuses - ou même des savons faits avec le lait. On peut aussi trouver du miel des ruches implantées sur le site. Régulièrement, des visites sont organisées pour découvrir la vie à la ferme et se terminent forcément par une dégustation de produits locaux.

 

Sur le dépliant du lieu, est écrit « Plus qu’un fromage ! », il est certain que le Ruban Bleu est surtout plus qu’une fromagerie. « C’est une famille ! » nous avoue la responsable « Je cuisine pour tous les employés, tous les midis » et même si Caroline est la patronne, elle tient réellement à garder un esprit bon enfant « convivial et sans trop de hiérarchie ». Chacun ici travaille à son rythme, le personnel n’est pas payé à l’heure, mais à la semaine, « C’est une notion de liberté que je veux laisser. Il y a énormément de contraintes dans l’agriculture, nous sommes dictés par les animaux. » et même plus qu’une liberté de travail, Caroline laisse au personnel de la fromagerie un véritable espace de créativité : « Il y en a un qui voulait des ruches, on a acheté des ruches ; une autre voulait faire un élevage de lapins, on a acheté des lapins. Chacun trouve son chemin comme s’il était chez lui ! » Ce n’est alors pas pour rien que l’équipe, composée de Français en grande partie, est très soudée et ne veux absolument pas quitter les lieux ! 

 

Venir au Ruban Bleu est une belle expérience à la fois gustative, mais également humaine. Il se dégage des lieux une véritable énergie positive que Caroline Tardif et les personnes qui travaillent avec elle dégagent. Les fromages sont bons, très bons même, et quand on veut sortir de Montréal pour découvrir ce qu’il s’y fait de bon aux alentours, c’est véritablement le lieu dans lequel on est obligé de s'arrêter.

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Mots-clés : fromagerie Québec - fromages Montréal - Caroline Tardif

 

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