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L’Oreiller de la Belle Aurore, pièce maîtresse de la haute charcuterie

Ecrit par Fred Ricou le 10.12.2018

C’est l’un des monuments de la gastronomie française, à la fois pour son histoire, mais également pour sa complexité. Si le pâté-croute (ou pâté en croûte…) de qualité revient tranquillement sur les tables, l’une de ses plus belles pièces se met elle aussi en scène grâce à une dizaine de charcutiers en France : L’Oreiller de la Belle Aurore

 


On se croirait dans un conte charcutier, on n’est pas loin d’un met qu’auraient pu dévorer Gargantua et Pantagruel. Un Oreiller de la Belle Aurore pèse à lui tout seul une vingtaine de kilos et se réalise en trois heures entre le moment de sa préparation et l’ajout de sa dernière goutte de gelée. Bien entendu, ceci, c’est sans compter le temps d’attente et de cuisson. Bref, on ne se lance pas dans la création d’un oreiller si l’on n’a pas un peu de talent et de patience… 

L’Oreiller de la Belle Aurore est une sorte de pâté croûte, en forme de coussin d’à peu près 50 cm sur 40, à l’intérieur, plusieurs viandes différentes. Au Moyen-âge, le pâté en croûte se préparait surtout pour les conserver et est devenu par la suite, une véritable pièce charcu… pâtissière ! Oui oui, à l’époque les pâtissiers étaient liés, professionnellement parlant, aux charcutiers, rôtisseurs et autres cuisiniers dans tout ce qui touchait au salé. 

L’une des premières évocations de l’Oreiller de la Belle Aurore vient, jusqu’à preuve du contraire, des écrits de Lucien Tendret, le neveu du gastronome et auteur culinaire Jean Anthelme Brillat-Savarin, l’auteur du livre qui mettra des mots sur les sensations gustatives dans Physiologie du goût en 1825. Jean Anthelme Brillat-Savarin est le fils de Marc Anthelme Brillat, seigneur de Pugieu près de Belley, avocat au Parlement, et de Marie Claudine Aurore Récamier. Ha, le prénom est lâché, Marie Claudine « Aurore » Récamier, la propre mère de Brillat-Savarin, c’est elle « Aurore » dans Oreiller de la Belle Aurore. Ainsi, un cuisinier amoureux lui proposa ce bel oreiller pour lui montrer qu’il aimerait peut-être s’y installer dessus avec elle… On savait vraiment être romantique à l’époque. L’histoire en revanche ne dit pas si celle-ci a compris le message et si les avances du cuisinier (qui avait peut-être trop salé son oreiller…) lui ont permis d’aller jusqu’au bout de son fantasme. 

« Lorsqu’on coupe l’oreiller de la belle Aurore, le parfum des truffes noires, mêlé au fumet des viandes, embaume la salle à manger. Les tranches tombant sous le couteau présentent l’aspect d’une mosaïque de couleurs vives et variées et sont imprégnées des sucs d’une gelée vineuse couleur d’or. La croûte, toute pénétrée d’un mélange onctueux de beurre frais et de foies de volailles, est tendre sous la dent et fondante dans la bouche » Quoi de mieux que les mots de Lucien Tendret dans « La Table au pays de Brillat-Savarin » pour expliquer les sensations que l’on ressent à la découpe de cette belle pièce, que l’on mange tiède de préférence… 

C’est la Maison Reynon à Lyon qui est la première à avoir remis au goût du jour l’Oreiller de la Belle Aurore. À Paris, l’un des rares à le proposer, quelques semaines par an, est la maison Verot. Belle maison charcutière familiale depuis 1930, Gilles Vérot entend parler la première fois, à 17 ans, de l’Oreiller justement à la Maison Reynon : « Pour moi, c’était quelque chose de mythique, mais je ne comprenais pas tout. Mon père n’en faisait pas. Je l’ai découvert quand j’ai démarré mon métier. Mais l’on ne savait pas réellement comment cela était fait. C’était les méthodes à l’ancienne où l’on ne montre pas trop les recettes de la maison…» 

Toute la fabrication en 10 étapes : 


C’est depuis trois ans et demi que l’atelier de Gilles Vérot réalise l’Oreiller : « Nous voulions fêter nos 10 ans de collaboration avec Daniel Boulud à New York (chef français du restaurant doublement étoilé Daniel), nous voulions lui faire plaisir ainsi qu’à ses clients. L’Oreiller est vite devenu une évidence, comme un gâteau d’anniversaire… » 

Quatre fois par an, au moment où il est possible d’avoir du gibier (de septembre à fin décembre…) et ce jusqu’à sensiblement le début de la fin de la truffe, la Maison Vérot se lance dans l’Oreiller de la Belle Aurore. Pour la charcuterie Vérot, l’oreiller se confectionne avec 10 viandes différentes, une farce de veau, une farce de cochon, et de la truffe finement taillée. Le montage « spectaculaire » se fait généralement à deux pour pouvoir ainsi bien travailler l’un en face de l’autre et égaliser si besoin. 

Ainsi, le charcutier explique comment il entrevoit cette spécialité : « En le dégustant chaud, on ressent toutes les viandes. Dans une demi tranche, d’environ 400 grammes, vous avez les dix viandes et les trois farces différentes et la truffe. Quand vous coupez une lamelle, vous avez le ris de veau qui est de paire avec de la biche, des goûts assez contrastés… Vous avez du faisan qui va se marier avec du cochon. À chaque bouchée, on retrouve réellement les viandes… Je trouve que c’est une recette exceptionnelle. » 

Septembre, Octobre, Novembre et Janvier (oui oui, pas en ce moment, donc… ) sont les fameux quatre rendez-vous où il est possible de retrouver l’Oreiller de la Belle Aurore dans les quatre boutiques parisiennes de la Maison Vérot. Il faut se dépêcher pour en acheter, à la fois pour le côté ultra-saisonnier du produit, mais également parce que le samedi après-midi, jour de son arrivée en boutique, il est possible qu’il n’y en ai plus dès l’après-midi. Plus de 200 ans et toujours une star… 

Maison Verot
3, rue Notre-Dame-des-Champs,
75006 Paris

 

Mots-clés : charcuterie Brillat-Savarin - pâté croute - maison vérot

 

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