Plat du jour - Société

Interview : “The Chef in a Truck”, le truck en plus de François Perret

Ecrit par Sirine Errammach le 12.06.2020

The Chef in a Truck diffusé depuis le 10 juin sur Netflix retrace le parcours de François Perret, chef pâtissier du Ritz, qui a quitté sa cuisine et sa brigade pour prendre le volant d’un foodtruck aux États-Unis, et revisiter les pâtisseries américaines. Après les six épisodes de 25 minutes chacun, il fallait qu’il nous en raconte un peu plus…

 

Portrait de François Perret - Alban Couturier

 

Vous avez tout de suite accepté la proposition d’Éric Nebot, le réalisateur, ou avez-vous hésité ?
Je n’ai pas particulièrement hésité, au contraire, l’idée me paraissait vraiment intéressante. La rencontre avec Éric a été déterminante. C’est vraiment ce qui m’a motivé à passer ce pas parce que c’est avant tout une aventure humaine autour de notre rencontre. Éric a rencontré mes gâteaux avant de me rencontrer moi, il a fait une grande dégustation à l’hôtel, je crois qu’il a pris tous les gâteaux de toutes les cartes possibles. À l’issue de ça il m’a envoyé un message, on a commencé à échanger un petit peu sur les réseaux sociaux, on s’est appelé et puis en septembre 2018 il m’a présenté le projet. J’ai trouvé que c’était hyper spontané et une histoire qui commence dans la gourmandise en général ça ne peut qu’être bien. J’ai ensuite proposé cette aventure au Ritz et la maison a adhéré tout de suite. Quand vous avez une maison comme le Ritz qui vous porte sur une idée comme celle-ci et un homme comme Éric qui amène cette idée un petit peu folle mais en même temps hyper excitante il faut y aller !
 

Le documentaire reflète le ressenti que vous avez eu tout au long de ces 14 jours ?
Tout à fait. Ce qui était important pour moi dans cette aventure et ce que j’avais demandé à Éric c’était que ça reflète la réalité et que ça capte l’instant. Donc je pense que là il ne s’est pas trompé. Ce que je ne voulais pas c’était qu’on se transforme en émission de donneurs de leçons sur des méthodes. Aujourd’hui si vous voulez regarder de beaux gâteaux, vous allumez Instagram. Vous voulez connaitre une recette ou une technique vous regardez Top Chef, Master Chef, ou Le Meilleur Pâtissier. Dans ce documentaire c’est un peu une tranche de vie qui est présentée et j’ai pris beaucoup de plaisir à le faire.
 

Avez-vous regardé le documentaire ? Qu’en avez-vous pensé ?
J’ai pu voir quelques images avant la sortie officielle mais je n’avais pas tout vu. Je l’ai regardé récemment avec mon épouse. C’est très difficile d’avoir un point de vue sur quelque chose où on se voit évoluer constamment à l’écran, où on s’entend. C’est important pour moi d’avoir des retours de proches parce que soi même c’est difficile d’être objectif.
 

Qu’avez-vous pensé des pâtisseries locales ?
Je ne suis pas allé là-bas pour dénigrer ce qui s’y fait. J’y suis allé pour essayer de me nourrir, voir ce qui était proposé et faire des rencontres. Il y a des choses qui sont très intéressantes après il y a forcément un excès dans les volumes et dans le sucre mais ce sont surtout les couleurs qui m’ont perturbé. Les cookies étaient très bons. C’est vrai que ce n’est pas notre culture mais ce n’est pas pour ça que ce n’est pas bon. Ils sont des millions à les manger tous les jours. Ce que je voulais c’était me rendre compte de la manière dont ils voyaient les produits sur place. Ce qui m’intéressait c’était de comprendre et ce que j’ai compris en réalisant mes produits à Grand Central Market le dernier jour, c’est que quand on leur propose quelque chose d’équilibré, ils sont complètement ouverts. Ils les dégustent avec envie et ils apprécient. À Los Angeles, il y a tout un melting pot de cuisines du monde et pourtant ils restent sur une pâtisserie qui est très américaine mais je pense que s’ils avaient une offre un peu plus variée sur la pâtisserie avec des choses un peu plus recherchées en terme d’équilibre ils seraient ouverts et ils sauraient apprécier.

 

Vous parlez parfois de la notion de « juste sucre », comment avez vous fait pour revisiter les pâtisseries américaines qui sont connues pour être très sucrées ?
C’est difficile mais je pense qu’on a un pouvoir d’adaptation qui est exceptionnel. Quand on connait ses bases et son métier on y arrive. Ce que je voulais c’était intégrer des bases pâtissières bien françaises dans mes revisites. Pour le S’More je suis parti sur une base de pâte à choux, il n’y a pas plus français qu’une pâte à choux. Pour le Taco au miel j’ai utilisé une base de pâte à cigarette donc c’est pareil c’est très français, c’est ce qui sert à faire les langues de chats. Pour le Taco au maïs, je suis passé sur une pâte à brioche à la plancha, très français aussi. J’ai beaucoup travaillé le fromage blanc également. L’idée c’était vraiment de continuer à travailler comme je le fais mais d’essayer de faire des produits qui doivent se manger à la main, parce que vous n’avez pas d’assiettes ni de couverts. Il y a une réflexion qui est complètement différente : ça doit pouvoir se tenir et ça doit pouvoir se manger facilement. 


 

La proximité avec les clients vous a particulièrement touché. Cela vous a donné envie de poursuivre dans cette lancée et d’engager de nouveaux projets en gardant à cœur d’être au plus proche des clients ?
Oui beaucoup. C’est aussi ce qui m’a motivé à passer ce cap parce que quand vous faites ce métier c’est avant tout pour les gourmands. Pour voir si vous avez bien fait votre métier rien de tel que de regarder quelqu’un manger et prendre du plaisir. S’il y a bien un moment où on ne peut pas mentir sur son visage c’est quand on mange. Quand ce n’est pas bon ça va tout de suite se voir et inversement. Ça m’a fait énormément plaisir de pouvoir voire les gens manger et d’avoir cette proximité avec eux. Ça m’a surtout donné envie de continuer cet investissement permanent dans ce travail pour pouvoir vivre des moments uniques comme ceux-là. J’espère que cette aventure nous emmènera vers de nombreuses autres car c’est ce qu’on attend de la vie aujourd’hui. J’espère que ça déclenchera d’autres projets, après lesquels je ne sais pas encore.
 

Juste avant votre départ vous avez créé un nouveau dessert avec un ingrédient atypique et difficile à travailler : la main de Buddha. Pendant votre voyage, vos collaborateurs vous annoncent que le dessert a reçu quelques retours négatifs ce qui semble vous affecter. Quelle a été votre réaction et votre façon de gérer la situation sachant que vous ne pouviez pas intervenir directement ?
Quand on fait un dessert le plus important c’est d’être à l’écoute des retours et ma première question c’était de savoir si ce retour était récurrent. S’il n’y a qu’un seul retour, c’est un cas isolé, il faut le garder en tête mais il ne faut pas forcément tout changer. Si ce sont des retours fréquents, effectivement il faut réfléchir. Il faut se pencher sur le problème, regoûter, voir si la recette n’a pas bougé et si elle est toujours bien exécutée. Quand on n’est pas là c’est plus difficile mais j’ai directement contacté mon adjoint et j’ai suggéré de rajouter un peu plus de citron caviar pour qu’il y ait un peu plus de pep’s. Je pense que ce qui fait la réussite et notre chance aujourd’hui, c’est l’équipe avec laquelle on travaille, la dynamique dans laquelle ils sont, l’engagement qu’ils ont envers la maison. C’est avant tout une histoire de confiance et je pense que c’est un peu pareil entre un chef et sa maison. C’est cette confiance que j’ai envie de figer dans le temps pour pouvoir peut-être aller sur des projets encore plus intéressants, par fidélité avec cette maison.
 

 

 

Vous avez passé 14 jours dans un espace limité, qu’avez-vous ressenti en retrouvant vos grandes cuisines du Ritz et votre brigade ?
Je suis convaincu que j’ai beaucoup de chance donc j’y pense tout le temps. Je pense qu’aujourd’hui il faut savoir apprécier et qu’on a tendance à pas suffisamment le faire. J’apprécie énormément ce que je fais, la maison dans laquelle j’évolue, les gens avec qui j’évolue et j’étais très content de rentrer parce que c’est ici que tout a commencé.
 

Avez-vous peur de cette nouvelle forme de « célébrité » ?
Concernant la nouvelle célébrité, je mettrais une parenthèse. Aujourd’hui il est important de rester conscient de ce que l’on fait et de pourquoi on le fait. Si cette dynamique liée autour de cet évènement peut nous apporter un petit peu plus de gourmands et de visibilité sur ce qu’on fait c’est très bien. Et si on peut mettre un gâteau sur mon visage (comme la madeleine), c’est magique. Quand on fait des gâteaux on a envie de les faire déguster au monde entier, on a envie de les faire connaitre. Ce documentaire permet de mettre en lumière une partie de mon travail et si ça peut donner envie aux gourmands de venir nous voir et susciter un petit peu ce délire de la gourmandise, c’est génial.
 

Aviez-vous prévu d’ouvrir Le Petit Comptoir* en même temps que la sortie de The Chef in a Truck ?
Absolument pas. On y a réfléchi pendant le confinement et on l’a mis en place. On a eu en même temps l’annonce de la date de diffusion sur Netflix. On a donc décidé d’inclure au Petit Comptoir quelques produits élaborés sur le foodtruck pour être dans l’actualité comme le S’More ou le Taco. J’essaye d’y être de temps en temps, le samedi souvent, ça me permet de voir les gens et de capter ce qui marche, ce vers quoi ils vont et ça c’est plutôt intéressant. Je suis très heureux de pouvoir ouvrir ce petit comptoir et de représenter la maison pendant qu’elle est fermée.
 

Vous avez donc repris le chemin des cuisines ?
Oui absolument, depuis 3 semaines. On a réintégré une semaine avant le début du déconfinement pour remettre en place tout ce qui avait besoin de l’être, parce qu’on ne pensait pas partir aussi longtemps. On a tout nettoyé, on a repris nos mises en place de base et puis on a relancé.
 

Seriez-vous tenté par une saison 2 ? Et dans quel endroit la cuisine vous inspire-t-elle le plus ?
Si l’on me propose une deuxième saison avec Éric et si la maison est d’accord, j’y cours, ça c’est une évidence. Ça fait partie de l’ouverture d’esprit, de l’ouverture sur le monde, c’est une chance inespérée. Si on veut rester sur ce concept streetfood, il faudrait forcément cibler un endroit où c’est répandu, où ça fait partie de la culture. Peut-être l’Asie… 

 

*Stand installé à l'entrée du Ritz où sont proposées des créations du chef, à emporter, dont des créations spécialement élaborées pour le foodtruck : le Smore et le Taco. Il propose aussi des boissons et des produits de la gamme Paris Ritz gourmet

 

Mots-clés : The Chef in a Truck Netflix - François Perret - Chef pâtissier Ritz

 

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