Plat du jour - Société

Éric Roux : « Le confinement a permis de reprendre en main son alimentation »

Ecrit par Fred Ricou le 19.05.2020

Le confinement s’est arrêté il y a un peu plus d’une semaine. Pendant presque deux mois, nous avons dû réinventer nos pratiques alimentaires quotidiennes. Créateur de l’Observatoire des Cuisines Populaires, le journaliste Éric Roux décrypte avec nous cette période et ce qui pourrait en rester.

 

Éric Roux - Photo Ludovic Le Guyader

Est-ce que ce confinement a apporté de « bonnes choses » aux Cuisines Populaires ? 

Je vois ce confinement comme une parenthèse. Après une parenthèse, il y a une nouvelle phrase et l’on ne sait pas encore comment elle va être écrite. Ce que l’on appelle « cuisine populaire » c’est la nécessité de la quotidienneté et cela a fait plonger les gens dans cette nécessité. J’ai interrogé pas mal de gens autour de moi qui se sont retrouvés à faire à manger tous les jours et deux fois par jour ! D’habitude, il y a le petit restaurant que l’on se paie, le restaurant ouvrier ou la restauration collective. Les gamins qui sont à l’école, collège, ou lycée… Il y avait une fragmentation dans la prise alimentaire des repas classiques, et là, plus de fragmentation : Il fallait se mettre à table et préparer à manger tous les jours. Cela a provoqué pas mal de choses… 

 

Comment cela s’est-il traduit ? 

Après un petit moment de « pédalement » dans la choucroute de l’organisation des marchés de producteurs, en particulier, j’ai constaté une augmentation de la fréquentation de ces marchés, justement, avec une multiplicité de classes sociales qui y vont…

 

… ils y allaient moins avant ? 

Non, mais cela s’est accentué… Avec des pratiques différentes : des débuts de marchés, des fins de marchés, on n'achète pas forcément la même chose et au même prix. Ça, c’est une première chose. La grande surface est toujours omniprésente. Certaines grandes surfaces spécialisées dans les produits frais ont d’ailleurs fait pour la première fois de la publicité à la télévision… Il n’y a pas qu’un seul modèle d’approvisionnement, les gens sont beaucoup plus complexes que cela. Ils s’approvisionnent du marché de producteurs, aux marchés de primeurs en passant par la grande surface. Et ils ont été confrontés aux questions : « Qu’est-ce que je fais à manger à midi ? Qu’est-ce que je fais à manger ce soir ? ». Et le résultat c’est soit que l’on y prend du plaisir parce que l’on fait ça en famille, que l’on se bidouille des petits plats, soit, chez certaines personnes, une lassitude d’imaginer chaque jour des plats différents. Ce qui les ennuie le plus, c’est le renouvellement de la même chose. 

 

Nous avons fait un article il y a quelques semaines sur ce que l’on pouvait faire, par exemple avec des fanes, il a plutôt bien fonctionné. Est-ce que vous pensez qu’il y a eu une volonté de recherche culinaire plus spécifique ? 

On peut se poser la question autrement : est-ce que devant une botte de radis bien frais avec des fanes bien vertes, on se dit que c’est dommage de les acheter pour les jeter après ? Il y a aussi une question de temps. Il n’y a plus eu cette contrainte de temps dans la pratique de l’alimentation. Normalement, on est contraint par le temps ! « J’ai pas le temps » est souvent la raison que donnent la plupart des gens qui ne font pas à manger à la maison. D’un coup, on s’est retrouvé avec une surabondance de temps que l’on a du occuper. La cuisine est véritablement un moyen de remanger tous à table, en même temps… Il y a des familles où les gamins mangent à une certaine heure et les parents, pas forcément à la même… Là, j’ai du temps et en plus, c’est un moyen d’embarquer les gamins dans la préparation du repas. Il y a eu un reconditionnement des repas pris ensemble. Les questions de ce confinement étaient : Qui fait à bouffer ? Qui débarrasse ? Qui fait la vaisselle ? On mange à quelle heure ? Tout cela a été remis en question et je trouve cela très intéressant ! 
 

Que va-t-il en rester dans quelques jours ou même semaines ? 

Pour l’instant, on ne peut pas le mesurer. On verra cela dans un an ou deux. Mais je pense que cela va changer des choses. Par exemple, j’ai conseillé à des personnes, qui ont un peu de moyens, de se faire livrer par une plateforme de distribution de producteurs locaux - Le Marché de Max et Lucie à Clermont-Ferrand, qui a vu ses demandes exploser - le prix du panier moyen également - et ceux qui les reçoivent sont étonnés : « C’est dingue, les carottes ont du goût ! » Pareil pour les radis qui étaient un peu forts, ils ont pris conscience d’une variabilité et d’une variété de goûts. Je pense que ces gens-là ne vont peut-être pas continuer à acheter tout le temps, mais de temps en temps…

 

Et pour ceux qui ont moins de moyens ? 

J’ai vu un reportage au début du confinement. Il y avait une jeune femme qui sortait d’un supermarché et qui était désespérée qu’il n’y ait plus de pâtes et de sauce en boite. Cela traduisait, en creux, que la base de son alimentation, c’était des pâtes et de la sauce tomate. Ce que l’on peut espérer, c’est que ce manque l’a fait cuisiner autrement. Par exemple, j’ai fait une série de chroniques pour l’Interprofession des conserves qui réunit à la fois les gros conserveurs mais aussi des artisans. Bon, vous avez une boîte de petits pois, ce n’est pas forcément pour la faire réchauffer à la poêle. On peut se dire que l’on va en faire un mousse, une crème ou une soupe ! On l’agrémente avec des petits dés que lard ou de jambons secs grillés. Il y a une sorte de reprise en main de son alimentation…

 

Il y a donc un avant et un après ? 

Avant le confinement, il y avait une sorte de « prolétarisation » de la nourriture : « Je confie à quelqu’un d’autre la responsabilité de me faire à manger » (restaurant, restauration collective, grande surface, le traiteur, le plat sous vide, etc…). Avec ce confinement, cette abondance de temps, et cette possibilité de prendre des repas ensemble, c’est : « Je reprends en main mon alimentation ! Ce que je me fais à manger, je l’ai décidé ! »
 

Quand on voit dans les grandes villes, les gens qui se sont fait livrer des plats par différentes plateformes qui ont cartonné pendant ce confinement. Est-ce qu’il n’y a pas une différence ville / campagne ? 

Il y en a toujours eu ! Mais si l’on rapporte cela à la majorité des repas, c’est moins qu’avant. Avant, nous faisions appel à la livraison à la maison, dans un espace où déjà l’on ne se faisait pas beaucoup à manger. D’un coup, on double le nombre de repas à assurer et je ne pense pas que l’on ait comblé l’abondance de repas à assurer par de la commande extérieure… qui en plus est très chère ! En revanche, je me pose la question : « Comment les restaurants gastronomiques qui ont livré des repas à 30 euros, vont pouvoir de nouveau les faire payer à 150 euros ? ». On est face à quelque chose d’inconnu, où l’on est incapable d’imaginer la suite. Je pense que tout va se passer par petites touches dans toutes les classes sociales avec des changements que l’on espère bénéfiques à la production locale… 

 

Qu’avez-vous pensé des chefs, justement, qui ont proposé quantité de recettes principalement sur Internet ? 

Je pense que le confinement a introduit une chose : La recette « militaire » avec des ingrédients bien indiqués et un cheminement parfait a été remis en question. Les gens ont bricolé. La seule vraie cuisine, c’est celle de la bricole. On a ça à disposition et l’on va se démerder pour faire à manger avec. 

 

Comment analysez-vous le fait que tout le monde sur les réseaux sociaux se soit mis à faire son pain ? 

(Rires) Cela correspond totalement à ce que je dis. C’est une prise en main, être responsable de soi-même. On évite ainsi d’être confronté au coronavirus dans la file d’attente chez le boulanger. Et qu’est-ce que le pain à part du temps ? J’ai le temps. Il y aussi la symbolique de la fermentation : je maîtrise un truc magique, et je maintiens la vie. La fermentation, c’est ce qu’il y a de plus compliqué et je la maîtrise… plus ou moins bien. 
 

Dans un sondage*, les Français sont 36% à avoir fait plus de gâteaux et autres desserts et 29% de plus à avoir fait un repas entièrement fait maison... Qu’en pensez-vous ? 

C’est énorme ! Et sur les 29%, il y a forcément quelque chose qui va rester…

 

Dans le même sondage*, on peut voir que les plats qui ont le plus manqué aux Français sont ceux de « cuisine française traditionnelle ». C’est une valeur-refuge ? 

C’est une cuisine que les Français ne pratiquent pas trop. Manger des pieds de cochons, de la tripe, du chou farci, de la choucroute, du cassoulet, du couscous, de la paella, ce sont des mises en œuvre complexes. Ils n’ont pas forcément tout pour le faire…

Ce sont des plats de « grand-mère »…

Oui, et la grand-mère est protéiforme ! C’est à la fois la mémé du bled, c’est la vieille dame habillée en noir au Portugal, et c’est la paysanne au fin fond de l’Auvergne. Et là aussi, on remet le doigt sur la diversité ! Si c’est pour se rassurer, l’important ce n’est pas le plat, c’est le souvenir que l’on en a et ce qu’il représente, plus que la réalité du plat. C’est le souvenir du goût et celui que je veux transmettre à mes enfants. À chaque fois, l’explication est multiple et complexe. 

 

Qu’est-ce que l’on va retenir de cette extraordinaire expérience ? 

Une remise en valeur de la diversité. Une remise en avant de la nécessité de la quotidienneté de la nourriture. D’avoir pris des repas ensemble et cette question : Qu’est-ce que je fais aujourd’hui ? Et surtout… prévoir ! Nous étions dans une situation alimentaire où « Tiens, j’ai envie d’avoir des sushis ! Je téléphone, j’ai mes sushis ! (Sushis de merde... mais je les ai !) Je veux aller au restaurant. Je sors, je vais au restaurant ! » C’était d’une rapidité invraisemblable. Et là, je suis obligé de prévoir. Je suis obligé de mettre un raisonnement pour me faire à manger…

 

C’est d’ailleurs ce qui a, le plus rapidement, manqué aux gens. Les restaurants et boire des coups en terrasse ! 

Bien évidemment !  

 


*Sondage : Just EatFood & confinement - Entre habitudes bouleversées & amour grandissant ! - Mai 2020

 

Mots-clés : Éric Roux - Cuisine Populaire - Après Confinement

 

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