Critiques - Pour apprendre

Tailler une plume : Stéphane Méjanès croque les critiques

Ecrit par Fred Ricou le 04.06.2019

« Quelle chance ! » Pour la plupart des Français, quand nous disons que nous sommes « journaliste culinaire », nous créons l’admiration. Manger, écrire des articles pour dire que nous avons mangé et repartir manger. Stéphane Méjanès est dans le métier depuis 7 ans. Aujourd’hui, à la manière d’un La Bruyère, il croque ses « collègues » contemporains. 

 

On a tous cette image de Louis de Funès qui entre, déguisé en vieille dame ou en « américain », veste rose et chapeau de cow-boy, dans un restaurant pour prendre des notes, prélever des plats et des vins et insister sur « Mon eau minérale ! », c’est dans L’Aile ou la Cuisse (1976). Le guide Duchemin est une parodie du célèbre Michelin et les journalistes culinaires, bien que gentiment moqués, passent à la postérité cinématographique. Il y a du chemin depuis Alexandre Balthazar Grimod de la Reynière, le premier du genre en 1803. 

Aujourd’hui, il y a plusieurs sortes de journalistes culinaires qui se retrouvent autour des produits, des chefs, de la gastronomie, chacun avec sa vision d’envisager le métier, quand ils ne sont pas talonnés par les « blogueurs food » et autres « instagrammeurs ». 

Stéphane Méjanès est passé du journalisme sportif, dans lequel il est resté une trentaine d'années, au journalisme culinaire, il y a 7 ans. Depuis 7 ans, il arpente ce petit milieu avec l’œil acéré qui est le sien. Indépendant, il participe aujourd’hui à plusieurs médias (Omnivore, L'Obs, Grand Seigneur...) et est présent régulièrement en librairie. Avec son nouveau petit opus Tailler une plume - Croquons le critique gastronomique,  aux éditions de l’Épure, ce n’est non pas sur les chefs qu’il se penche cette fois-ci, mais sur ses contemporains. Un peu comme pour l’humour « communautaire », il est souvent plus simple de se regarder dans le miroir pour mettre le doigt sur les petits travers des uns et des autres. 

Ils sont dix. Dix portraits sensiblement écrits comme La Bruyère le faisait dans ses Caractères. Dix portraits de « critiques » que l’on peut croiser lors de dîners réservés à la presse ou seuls au restaurant : « La Diva », qui attend 13h pour entrer dans le restaurant noir de monde pour bien se faire remarquer « comme un acteur dans le vent » ; le « Stakhanoviste » qui doit être au courant de tout ce qui se passe au risque d’être … dépassé ; « le Pique-Assiette » qui est là, certes, mais dont tout le monde se demande pourquoi ; « l’Incognito » qui est venu, a pris des photos, des notes, mais personne n’a vu qu’il était vraiment passé ; « l'Influenceur » qui se lamente de ne pas arriver à faire son « Insta » et qui laisse flétrir ce qu’il y a dans son assiette ; « le Glouton » qui reprendra bien une part avant de partir vers un autre déjeuner / dîner de presse ; « Le Blasé » a qui on ne va pas la faire, qui n’est surpris de rien et qui semble s’ennuyer depuis déjà bien trop longtemps ; « Le Tyran » que le chef comme le personnel craint et d’ailleurs, tiens, « Appelez-moi le Directeur ! » ; « L’Antique » qui était déjà là dans les années 90, 80, 70 et peut-être même 60, persuadé que la seule cuisine, l’authentique cuisine est celle qu’il a connue au début de sa carrière ; et pour terminer, c’est « L’Ingénu » qui clôt les portraits, le petit dernier qui vient d’arriver, petit nouveau dans le métier qui connaît, ou pas, la cuisine, mais qui fait son job, honnêtement … 

Talentueux à la plume, comme d’autres aux casseroles, Stéphane Méjanès entreprend ces petits textes « au début c’était pour me faire plaisir, pour mettre en forme 7 ans d’observation de ce petit monde, puis pour que cela devienne un livre, il fallu qu’une éditrice l’accepte ! ». Même si Tailler une plume range les journalistes culinaires dans des cases, l’auteur explique que « Tout le monde est un peu partout, ou alternativement pique-assiette, tyran, blasé ou autres, moi-même, je suis dans quelques catégories… » 

Maintenant, ce petit livre peut inclure aussi différentes sortes de journalistes actuels qui ne sont pas forcément du milieu de la gastronomie, « C’est comme ça que je l’ai pensé. Je ne voulais pas que ce soit un livre trop crypté, trop dans l’entre-soi qui n’intéresse que le milieu de la gastronomie, pour essayer de faire quelque chose d’universel … Même si c’est un grand mot. Mais on peut remplacer gastronomie par sport ou encore high-tech … J’espère que cela dresse aussi le portrait d’un métier un peu en crise ».

Un livre s’adresse aussi à des lecteurs. Si une grande partie de la profession des journalistes culinaires va se reconnaître dans ses 84 pages, tout l’intérêt était aussi d’aller chercher d’autres lecteurs : « C’est vrai que c’est un livre à destination de la « communauté » de la food, à tous les gens qui s’y intéressent de près ou de loin. Et tout ceux qui écrivent sur le sujet vont pouvoir retrouver des situations. Mais je pense qu’il peut y avoir un deuxième ou même un troisième niveau de lecture. Même si les gens ne connaissent pas ce milieu, ils peuvent se marrer ! »

Il faut le dire, et même si à 7deTable, nous naviguons dans le même milieu que celui de Stéphane Méjanès, ce n’est pas par flagornerie que nous l’avouons : Tous ces portraits sont à la fois drôles mais surtout remarquablement écrits. Ce qui fait un bon critique culinaire, c’est aussi sa plume ! Il est rare de voir des simples « c’était très bon » ou « le chef aurait pu mieux faire » pour donner envie ou, a contrario, ne pas donner envie de se rendre dans tel ou tel établissement. Est-ce que le critique culinaire dans ce cas est-il l’un des rares journalistes proches de la littérature ? « Je pense que la critique en France, c’est l’espace du journalisme qui prédispose le plus à un style littéraire … » affirme l’auteur « On peut évidemment penser aux critiques littéraires, aux critiques cinémas, théâtraux, tout ce qui va apporter un regard. Le critique a une liberté plus grande de faire jouer sa subjectivité et cela autorise une liberté de ton et de style. Je crois que la critique anglo-saxonne est plus réputée pour son côté plus factuel … » 
 

Selon Stéphane Méjanès, il n’y a pas d’école de la critique gastronomique : « Les qualités pour faire un bon journaliste gastronomique sont celles d’un bon journaliste : curiosité, ouverture d’esprit, regard critique, être capable de confronter des opinions dont les siennes, ne pas se laisser aveugler par son humeur du moment, par un cadre, ou par un service qui va mal se passer un jour… » et d’ajouter pour revenir sur Tailler la plume : « Celui que je déteste le plus, c’est le blasé. Il faut résister à tendre vers ça. Il est fermé à tout et considère qu’il a tout vu. Il faut garder cette capacité d’émerveillement et se laisser surprendre… ». 

Le métier de critique gastronomique est très compliqué, ici, c’est une forme de journalisme qui fait réellement appel aux cinq sens. Il faut arriver ensuite à décrypter ses propres émotions et sensations « On peine vraiment à décrire cela, et avec ceux qui réussissent comme François Simon ou d’autres, on atteint vraiment de la très bonne critique ». 


Tailler une plume - Croquons le critique gastronomique - Stéphane Méjanès - 9782352553083 - Éditions de l’épure - 12 euros. 

 

Mots-clés : critique culinaire - François Simon - Gastronomie journalisme

 

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