Critiques - Pour apprendre

Angelo Musa : « Je préfère un bon gâteau à un beau gâteau instagrammable… »

Ecrit par Samantha Honung le 05.11.2019

À l’occasion de la sortie de son autobiographie, 7 de Table est allé à la rencontre d’Angelo Musa. Chef Exécutif du Plaza Athénée, Meilleur Ouvrier de France et Champion du Monde de Pâtisserie, Angelo Musa est un surdoué, discret et profondément humaniste. Ses créations sont à l’image du Plaza Athénée, entre luxe et épure, générosité et élégance. 

 

Photo Alexandre Marchi

Le 7 novembre, l’autobiographie « Ma Promesse », d’Angelo Musa paraît aux Éditions La Martinière. Ce livre original dans sa forme et dans sa teneur est né de sa volonté. « Ma Promesse » entremêle avec brio processus de créativité et témoignages de ceux qui ont jalonné son parcours tant personnel que professionnel. Ce livre montre, sans pathos, que la volonté, la constance et le travail sont nécessaires pour arriver à l’excellence. Il pose de manière elliptique, la vraie question inhérente à la créativité : d’où vient-elle ? De quoi se nourrit-elle ? Angelo Musa y répond de façon fort personnelle. Sa créativité se nourrit de ce qu’il est, de ses rencontres. Il a su, comme tout créateur, s’approprier, transformer, transposer tout ce qu’il a appris. Angelo Musa rend hommage à ceux qui l’ont fait « grandir ». Mais ne nous y trompons pas, derrière une réelle humilité et une profonde gentillesse, le chef pâtissier exécutif du Plaza Athénée cache une volonté de fer et un univers créatif extrêmement riche, raffiné et complexe.

La genèse de ce livre est atypique. C’est une fois la maquette du manuscrit achevée, qu’il s’est mis en quête d’un éditeur. Ce sera La Martinière. Il a imposé son style, les témoignages, les photos, la première de couverture. Pour ceux qui connaissent le monde de l’édition, c’est un véritable tour de force. Angelo Musa a tenu à avoir en couverture la photo du ruban de sucre en référence à ses sculptures de sucre véritables œuvres d’art. « Ma promesse » renferme un cahier de recettes. Là encore le MOF a choisi un parti pris radical en choisissant les recettes emblématiques qu’il a créées tout au long de sa carrière. Il les livre ici telles qu’il les exécute sans les avoir simplifiées pour le grand public. Ce choix singulier est une volonté d’Angelo Musa de partager son savoir.

Au Plaza Athénée, palace parisien emblématique du luxe à la française, Angelo Musa propose une gamme sucrée élégante, raffinée et épurée. Ses créations ne sont pas pensées pour Instagram, elles sont pensées pour exhaler le goût… Et cela change tout. Épurées et belles, elles cachent, sous leur fausse simplicité apparente, une réelle complexité dans le jeu des textures. Elles enrichissent ainsi la palette des saveurs pour emmener les gourmands vers d’autres rivages. Un livre idéal pour les jeunes attirés par la gastronomie, pour ceux que le processus créatif questionne, pour les amoureux des recettes des grands chefs. Un livre à mettre entre toutes les mains ! Rencontre. 

 
Votre livre est jalonné de témoignages de ceux que vous avez croisés tout au long de votre carrière. C’est une démarche inhabituelle, non ?
Pour moi il était logique de faire participer ceux qui m’ont aidé à devenir ce que je suis. Ce sont des gens qui comptent énormément pour moi. Ce sont les personnages-clés de ma vie, ils m’ont aidé à des moments charnière, comme par exemple, mes trois anciens patrons. J’ai été réceptif à tout ce qu’ils m’ont donné. 
 
Avec l’avènement d’Instagram et l’hyper glamourisation de la pâtisserie, pensez-vous à l’aspect « Instagrammable » au moment où vous créez une nouvelle pâtisserie ?
Non, pour moi le plus important c’est le goût. Je vais beaucoup réfléchir et travailler sur le goût. Je préfère faire un gâteau un peu moins « design », un peu moins « Instagrammable » pourvu qu’au final on dise « Il est bon ! ». Évidemment on va faire attention à son aspect, on va pousser la création au maximum pour qu’elle soit également belle. Travailler dans un Palace nous donne beaucoup plus de moyens pour y arriver. Nous allons au bout des choses aussi bien d’un point de vue gustatif que visuel, mais au départ tout est axé sur le goût.
 

 
Que vous ont apporté toutes vos rencontres dans votre processus créatif ? Quand vous créez une nouveauté, vous dites-vous « tiens, ça m’a été inspiré par une personne, par un souvenir, par un lieu » ?
La création je dois l’avoir en moi. Toutes les personnes avec qui j’ai travaillé m’ont beaucoup donné et je leur ai aussi beaucoup donné. J’ai travaillé intensément. Cela a créé mon univers. C’est comme si j’avais un dictionnaire dans la tête dans lequel je puise pour créer. Parfois c’est facile, parfois il faut plusieurs essais, mais je fais toujours appel à cet univers qui est en moi.
 
Comment définissez-vous votre univers ?
Gourmand. J’aime la gourmandise, j’ai besoin que ça soit gourmand. J’aime les goûts lisibles. Au Plaza Athénée nous proposons « Le 100% vanille », 4 textures différentes et un seul goût pour créer une harmonie plaisante. Nous avons aussi le « finger » chocolat-caramel avec un caramel souple ; nous avons développé une technique pour l’emprisonner et obtenir quelque chose de « rustique » dans sa finition. J’aime les créations sobres et je n’apprécie que très peu ce qui est décor, colorants, glaçage. J’en ai fait, un peu, il y a longtemps, mais j’évite d’en refaire. Je me sers de tout ce qu’on m’a enseigné, de toutes les techniques apprises que je transforme à ma façon. Cela me permet d’être différent, de me démarquer. À un moment donné la pâtisserie est allée trop loin dans la complexification des goûts mais on assiste à un retour en arrière. Souvent dans les concours on voit chez les jeunes participants une accumulation de goûts, et si on peut les aider à simplifier on le fait. On doit avoir des goûts francs. 
 
Le « désucrage », mode ou réelle nécessité ? A force de désucrer ne va-t-on pas perdre en goût ? Il ne faut pas oublier que le sucre est aussi un exhausteur de goût…
Côtoyer Monsieur Ducasse nous a fait progresser et nous sommes très vigilants sur le sucre. Il y a quelques années on a commencé à parler « désucrage » et certaines créations n’avaient plus du tout de goût. Moi-même pour un Paris-Brest j’avais mis si peu de sucre que je ne sentais plus le praliné. Il m’a fallu légèrement resucrer pour retrouver ce goût de praliné. Tout est une question d’équilibre. Il existe aujourd’hui des ingrédients qui permettent de désucrer ce qui nous permet de retrouver le goût du produit, surtout pour les fruits. Par exemple, pour les compotées de fruits on concentre les fruits ce qui a pour effet de faire ressortir le goût intrinsèque du fruit sans rajouter de sucre car en le concentrant le sucre naturel ressort. N’oublions pas que trop de sucre tue le goût. 
 
Depuis le début de votre carrière les techniques ont évolué. Comment suivez-vous ces évolutions ?
Il faut s’informer en permanence. C’est un perpétuel travail de remise à niveau, de mise au point, de recherche. Cela fait 30 ans que je fais ce métier, cela fait 30 ans que je m’éclate et je suis toujours aussi passionné, plus même encore. Je ne m’ennuie pas. Il y a toujours quelque chose à faire, à découvrir, c’est ce qui est passionnant dans ce métier. J’ai fait beaucoup de concours et tous ces concours m’ont permis de développer énormément de techniques. Il faut savoir que pour les concours la préparation se fait en dehors des heures de travail, on est donc dans une réflexion permanente. On n’a plus de soirée, plus de week-end, plus de vacances. Mais ces concours m’ont permis d’avancer plus vite, de progresser plus vite dans ma technicité.
 
Pour revenir sur vos créations au Plaza Athénée. Quel est le mode de création ? Y-a-t-il une exigence de sortir un gâteau mensuellement ? Est-ce un autre processus ?
Il n’y a pas d’obligation en terme de nouvelles créations. Nous suivons les saisons. Par exemple, la saison des fruits rouges étant terminée, nous venons de remettre à la carte notre éclair au chocolat qui est un éclair plus complexe que ceux que l’on trouve en pâtisserie. Avec mes équipes nous avons sorti trois nouveaux produits en peu de temps : une tartelette aux raisins, la bûche de Noël, la galette des rois. 
 

 
Vous gérez quasiment toutes les offres sucrées du Plaza. Comment travaillez-vous sur les différents lieux ?
Je gère les cartes sucrées de l’ensemble du Plaza Athénée exceptée la carte du restaurant gastronomique « Alain Ducasse au Plaza Athénée » qui est créée par Jessica Préalpato. Les cartes des restaurants changent 2 ou 3 fois par an. Elles ne sont pas figées. On peut modifier les propositions selon les produits, l’inspiration, nos envies, nos idées. Nous avons toute liberté. Les identités des restaurants sont différentes, très marquées, nous nous y adaptons. C’est très stimulant. C’est un gros travail, ce n’est jamais routinier et c’est passionnant. Pour La Galerie nous proposons un chariot de desserts et un Tea time. Je gère également la carte de la « Terrasse Montaigne ». Pour « Le Relais Plaza » j’échange beaucoup avec son chef exécutif, Philippe Marc. Les desserts sont élaborés dans un esprit plus bistrot. Nous travaillons ensemble, nous goûtons nos créations respectives, c’est très intéressant. Nous avons un vrai échange avec Philippe. Pour le « Le Relais Plaza » nous sommes vraiment dans les classiques revisités. Pour « La Cour Jardin » d’Alain Ducasse nous sommes également dans un rapport basé sur l’échange. Nos créations se doivent d’être aussi le reflet de l’ambiance du restaurant. Pour « La Cour Jardin » qui est plus méditerranéen, les desserts sont plus légers, plus fruités. 
 
Dans votre livre vous racontez avoir eu un coup de foudre pour la pâtisserie alors que vous vous dirigiez vers le salé et non le sucré.
Tout à fait. C’est aussi l’histoire d’une rencontre avec Monsieur Bourguignon (Ndlr : Claude Bourguignon, Pâtissier à Metz). C’est l’instant charnière. C’est aussi le destin. J’étais à l’école hôtelière quand un accident m’a empêché de passer les examens de fin d’année. Lors de la rentrée j’ai donc opté pour une année de pâtisserie à l’école hôtelière afin de compléter mon cursus. L’année se divisait en trois stages dont un a été un révélateur : celui avec Monsieur Bourguignon. Mon premier stage n’avait pas été probant et si lors du second stage je ne l'avais pas rencontré, je ne me serais pas dirigé vers la pâtisserie. Ce stage a été un choc, un véritable coup de foudre. La passion de l’enseignant fait naître la passion chez l’élève. À la fin des trois semaines de stage, je lui ai demandé de revenir travailler pendant les vacances scolaires. Ensuite, à l’issue de cette expérience je l’ai questionné sur mon avenir, j’avais 19 ans. Il m’a proposé de passer mon CAP chez lui. Il faut s’accrocher, persévérer. C’est ce que j’essaie de dire dans mon livre. Pour maîtriser ce métier il faut du temps, de la patience pour acquérir toutes les techniques. Ce métier aux gestes répétitifs requiert précision, constance, persévérance. C’est ce que je dis aux jeunes que je rencontre dans les écoles. C’est un travail, un loisir aussi. Ça fait partie de ma vie, c’est mon univers. Pour travailler, j’ai besoin de m’entourer de gens que j’apprécie. C’est important aussi. J’ai fait des concours avec un ami, Franck Michel, on a évolué ensemble sans rivalité. On partageait nos idées. Il faut savoir qu’on apprend tout le temps. J’ai encore besoin d’apprendre. J’apprends encore en écoutant les autres et ça me fait évoluer. Quand je suis arrivé au Plaza Athénée je n’ai pas imposé mes idées. Je me suis entouré du chef pâtissier, Alexandre Dufeu, d’un ou de deux collaborateurs et nous avons créé les gâteaux ensemble. Je leur ai expliqué ce que j’avais fait avant, ce que j’aimais, comment je réfléchissais. C’est un échange. Je ne suis pas dans la compétition, dans la concurrence avec mes confrères. J’ai beaucoup de respect pour le travail qu’ils accomplissent.
 
Pour vous la transmission est importante. C’est à votre tour de transmettre ?
Je vais dans les écoles en France et à l’étranger, je retourne dans mon ancien lycée hôtelier. Ce n’est pas « Angelo Musa, Meilleur Ouvrier de France » qui arrive et fait son show. J’essaie de donner tout ce que j’ai. Je me mets à la disposition des élèves. Je suis avec eux et je leur transmets tout ce qu’on m’a donné, comme Monsieur Bourguignon l’a fait avec moi. En tant que M.O.F je me dois de communiquer ce que je sais, même si ce n’est pas toujours facile de se mettre en avant. Le col bleu-blanc-rouge crée une vraie attente. Toi, tu es toujours le même, mais les gens ne te regardent plus de la même façon. 
 
Le parcours pour devenir Meilleur Ouvrier de France est long et compliqué, on en ressort changé ?
Oui. C’est très dur de devenir M.O.F. C’est un long tunnel et tu ne vois le jour que quand tu arrives au concours sans savoir si tu vas le réussir. La finale en elle-même dure 25h pour la pâtisserie. Je l’ai passée assez tard, à 37 ans. Même si je connaissais les arcanes de ce concours, le vivre est un véritable passage qui vous marque à jamais. C’est une masse de travail qui parfois fait peur. Un engagement personnel énorme. Il faut se donner à fond. Devenir M.O.F est une aventure qui vous marque à vie. On est face au jury, face à soi-même, face à ses ustensiles. La finale c’est l’apothéose de longs mois intenses de préparation. C’est beaucoup, beaucoup d’émotion. Un long processus mental, physique. Tous les finalistes ont le niveau pour le devenir. La seule différence c’est le mental. J’ai retrouvé ce type d’émotion quand je me suis remis à courir pour faire le marathon.
 
Quand vous êtes en phase de création est-ce exaltant ou stressant ?
La création du « premier jet » est exaltante. Ensuite on goûte et on doit le « corriger » et là ça devient stressant. Mais j’ai une certaine expérience alors j’essaie de prendre du recul. Je réfléchis à faire évoluer le produit notamment dans la disposition des éléments, dans la quantité des éléments. Et là tu vas chercher dans ta mémoire, dans ton dictionnaire interne, pour corriger ce qui ne va pas.
 
On parle beaucoup du travail des textures. Quelle est l’importance des textures dans la pâtisserie ?
Les textures c’est très, très important. C’est de la texture que vient le goût. On peut travailler avec le meilleur chocolat, les meilleures matières premières mais si les textures ne sont pas là ce ne sera pas bon.
 
Votre avis sur la mode du chocolat cru qui monte en puissance.
Ce chocolat peu conché, un peu granuleux est très intéressant. Ça fait ressortir d’autres notes. 
 
Vous utilisez beaucoup la vanille. Son prix a explosé. 
C’est un vrai souci. Ça coûte extrêmement cher. J’adore la vanille. J’en utilise beaucoup, c’est un peu le sel du pâtissier. Ça me permet d’assaisonner les préparations chocolatées, les préparations aux fruits… On essaie de trouver des techniques pour se servir de tout dans la vanille, et pour l’exalter au maximum. Parfois je mélange les différentes vanilles. 
 
Pensez-vous que la générosité que l'on a en soi, on la retranscrit dans ses créations ?
J’espère, oui. 
 
 
« Ma promesse », Angelo Musa, avec la collaboration de Céline Manoukian. Crédit Photos Laurent Fau. Ed La Martinière. 29,90 €. (Parution, le 7 novembre 2019)

 

Mots-clés : Angelo Musa Champion du Monde de Pâtisserie - Pâtissier MOF - Hôtel Plaza Athénée

 

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