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EDITO : TAFTA... on est dans de beaux draps !

Ecrit par Frédéric Beau le 16.05.2016

L’ouverture des frontières commerciales avec les États-Unis, un accord bilatéral de libre échange : TAFTA représente tout cela – presque rien d'autre. Pour les Européens ça sonne concret, et ça n’a rien d’effrayant en principe puisque c’est à peu près ainsi que l’Europe contemporaine est née. On peut lui mettre tous les problèmes que l’on veut sur le dos, mais le bilan est globalement largement positif dans ce domaine. Le contexte n’est cependant pas exactement le même avec le grand frère d’outre-Atlantique. Les normes et les règles ne sont absolument pas unifiées, et dans certains domaines comme l’alimentaire, elles sont loin de l’être.

 
NOAM CHOMSKY
CHRISTOPHER DOMBRES, CC BY 2.0

 

D’abord quand il s’agit de choisir son camp, il faut choisir son nom. Il faut donc savoir que lorsqu’on se sent plutôt favorable à un tel accord on l’appellera TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership : partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement) puisque c’est son nom officiel. Mais, lorsqu’au contraire, l’intuition semble aller vers l’opposition a cet échange, on l’appellera TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement : accord de libre-échange transatlantique).

 

Ce qu’on note à la lecture de quelques centaines de pages de documents officiels (il en existe des milliers sur les sites CE), c’est une volonté de clarté et de vulgarisation de la part de la Commission Européenne. De nombreux rapports ont été traduits en langage de Mr. Tout le monde sur les avancées de ce travail. Cette volonté peut même parfois sembler louche. À bien y regarder, ces documents explicatifs sont tellement simples qu’ils en sont presque simplistes. On n’extrapolera pas malgré tout sur une éventuelle tentative de tromperie de l’opinion publique. Il est simplement compréhensible que la Commission Européenne après deux ans de travail pour voir cet accord aboutir et sentant l’opinion de plus en plus opressante, tente de rendre moins opaque le ou les objectifs, le travail opéré, de même que les difficultés rencontrées. Une tentative de séduction, pour ne pas finir le bec dans l’eau – séant atlantique, en quelque sorte.

 

On comprend aisément cette apparente transparence, les accords (AMI : Accord multilatéral sur l’investissement, en anglais Multilateral Agreement on Investment) négociés dans le secret le plus total entre 95 et 97 entre les pays de l’OCDE (29 états), avait été durement repoussé par l’opinion dès qu’il est apparu au grand jour. Et cela de part et d'autre de l’Atlantique. Du côté de la Commission, on essaie, semble-t-il, de ne pas reproduire cette erreur. Les États-Unis et la France ont donc rangé l’AMI pour un temps. Mais la montée en puissance de la Chine, les tensions dans les relations avec la Russie et l’instabilité grandissante des régions du Moyen-Orient (notamment les producteurs de pétrole), incite les États-Unis à considérer à nouveau l’Europe comme un allier économique vitale. La machine est alors relancée, et depuis le 14 juin 93, date à laquelle la Commission européenne adopte le projet de négociation pour un « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement ». Le 8 juillet, le premier cycle de négociations à lieu à Washington, comme quoi, on avait envie de s’y mettre coté américain. 

 

Une fois le texte de l’accord finalisé il devra être ratifié par le Parlement européen ET par les parlements nationaux, et ceci dans sa totalité (aucun amendement n’est possible). C’est donc tout ou rien, et ce pour l’ensemble des pays européens, autant dire pour faire simple, que malgré toute la transparence affichée, ce n’est pas gagné.

 

D’accord, il ne verra peut-être jamais le jour, mais quel est le problème en fait ? En réalité, quels sont les problèmes ? Le TTIP a pour ambition de créer la plus grande zone de libre-échange commerciale en jouant sur 5 points majeurs. 

 

Le premier de ces points concerne l’accès aux marchés entre les deux continents pour tout ce qui pourra être vendu d’un côté à l’autre, biens et services. Bien, me direz-vous ? Effectivement, l’administration et la documentation actuellement nécessaire à l’importation ou à l’exportation est extrêmement lourde. De plus les droits de douane à géométrie variable qui existent dans les deux sens, sont un protectionnisme à peine déguisé des deux côtés. Par exemple, l’importation d’un véhicule américain en Europe est taxée à 10 %, alors qu’un véhicule Européen arrivant sur le sol Américain n’est taxé qu’à 2.5 %. il faut se rassurer, cette inégalité existe dans l’autre sens pour d’autres produits. 

 

On signalera entre autres les presque 140 % de taxes imposés par les douanes américaines sur certains produits laitiers européens. Comme ça, vu de loin, on n'imagine pas grand-chose d’effrayant là-dedans : ça semble plutôt cohérent. Évidemment, cette première partie traite également de l’accès aux marchés publics, mais aussi de la provenance des produits exportés (un marché dépourvu de droits de douane pourrait attiser les convoitises).

 

Le deuxième gros morceau que souhaite aborder l’accord est celui de la réglementation. Un gros bout que celui-là. L’établissement de normes communes entre les continents semble une chose logique pour juger de la sécurité d’un produit, ou de sa conformité vis-à-vis des attentes. Mais ce n’est pas si simple. Dans certains domaines comme dans l’alimentaire les états unis ont des règles radicalement opposées à celles qui existent en Europe. Sur les activateurs de croissance (hormone notamment), autorisés là-bas, interdits chez nous, les OGM, les règles sanitaires (lavage de la viande de poulets à l’eau de javel), etc.

 
poulet-javel
thierry ehrmann, CC BY 2.0

 

Bien sûr, la commission insiste sur le fait que les règles en vigueur chez nous le resteront. Ce sera le cas au début, c’est certain. Mais ce que craignent les organisations hostiles, c’est la modification progressive des lois vers moins de protection alimentaire. Le poids des monstres de l’agroalimentaire face aux États et la puissance de leur lobby face aux décisions de ces mêmes États n’est effectivement pas fait pour rassurer. 
 

On le voit bien le second morceau du traité n’est pas aussi tranché que le premier. Surtout si l'on ajoute à cela, que nous nous sommes limités, pour l’exemple, à l’alimentaire et l’agriculture. Cela peut se multiplier pour tous les autres secteurs détaillés par l’accord : substances chimiques, cosmétiques, ingénierie, technologies de l’information et de la communication, dispositifs médicaux, pesticides, Produits pharmaceutiques, textiles, véhicules.

 

Et enfin, le troisième axe de l’accord, qui traite des « nouvelles règles qui permettraient d’exporter, d’importer et d’investir plus facilement et plus équitablement ». Cet axe est vaste et à vrai dire quelque peu redondant avec les précédents, mais présente un point particulièrement controversé, qui est celui du traitement des éventuels différents liés au commerce entre les deux continents. Ainsi, des entreprises auront le droit d’attaquer en justice des pays membres de l’union, si elles considèrent que ces lois internes s’opposent à l’investissement ou minimisent les profits.

Les opposants estiment alors que les lois mises en place à l'avneir pour la protection de l’individu et/ou de l’environnement pourraient être menacées. On ne peut pas exclure d'emblée cette crainte lorsqu’on considère que le chiffre d’affaires d’une entreprise comme Monsanto (14,5 milliards $ en 2014) est tout à fait comparable aux PIB des plus petits des pays européens comme la Moldavie (13,2 milliards $), l’Islande (13,1 milliards $), Malte (11,4 milliards $). Le pouvoir de « persuasion » de ces méga entreprises est donc bien réel.

 
hazard Genetically Modified
John S. Quarterman, CC BY 2.0

 

L’autre sujet controversé de ce troisième volet, concerne les systèmes de protection existant en Europe, AOC, AOP, IGP… non reconnus de l’autre coté de l’Atlantique – l’Amérique ne prend en compte que les marques déposées. Actuellement du fromage appelé FETA est normalement vendu aux États-Unis, sauf qu’à la différence de l’Europe, il n’a pas besoin d’être produit en Grèce, ni d’être 100 % brebis… etc. De même pour le champagne, le parmesan, etc. Est-ce que les détenteurs de petites appellations auront les moyens de les revendiquer face aux géants de l’agroalimentaire ? Évidemment non. Encore un point qui crispe les opposants à ce traité.

 

Difficile malgré les efforts de la commission pour rendre les échanges transparents d’être tout à fait apte à juger les tenants et les aboutissants d’un tel traité. Les centaines de pages que contiendra le texte final seront d’une complexité telle, on ne parle pas seulement de la compréhension de ce qui est écrit, mais surtout la compréhension de l’engagement qui en découle, des règles et lois qui changeront, ou pas, notre société et notre quotidien dans l’avenir. D’autant que, d’après une étude commandée par la Commission européenne, la signature du traité engendrerait une croissance économique d’à peine 0,5 % d’ici à 2027 pour chacun des acteurs. Beaucoup de bruit, pour pas grand-chose en somme…

 

Mots-clés : TTIP TAFTA Europe - Etats Unis Europe - traité commerce échange

 

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