Critiques - Dans les cuisines

Mohamed Kharmalia : « Pour faire un bon cocktail, il faut de bons produits »

Ecrit par Célia Laherrere le 23.03.2017

Nous avions eu un véritable coup de cœur pour ses cocktails il y a deux mois chez Uptown. Mohamed Kharmalia est depuis fin février le nouveau directeur de Maloka, le restaurant du chef brésilien Raphael Rego. À 28 ans, ce villeno-gardennois a exercé la plupart des métiers de la cuisine à la salle, en passant par derrière le bar jusqu’au poste de directeur d’établissement. Un parcours à 360° qui lui a permis d’acquérir une polyvalence et un recul sur l’univers de la gastronomie qu’il exploite aujourd’hui dans son travail. Rencontre avec un garçon complet, réfléchi et perspicace.

 
 

Avant de rejoindre Maloka, vous avez un sacré parcours. Vous pourriez nous en parler ? 
J’ai un peu plus de 10 ans d’expérience dans la restauration où je suis passé par à peu près tous les postes. Après l’obtention d’un bac professionnel en cuisine, j’intègre la brigade de la Terrasse des Ternes en tant que second, puis du Theatro jusqu’en 2012. Ma première expérience marquante arrive en 2013 où je décroche un poste de chef de cuisine au restaurant La Chasse gardée, quartier des Batignolles (Paris 17). J’ai pu mettre à la carte et travailler des produits qui me plaisaient tout particulièrement, tel que les gibiers.

À cette époque, je bénéficie d’une grande liberté et que je prends beaucoup de plaisir dans mon métier, cependant il me manque le contact avec la salle, le côté relationnel de la restauration  que nous n’avons pas en cuisine ! Je ressens le besoin de communiquer avec les clients.  
Cette fonction du Service, je l’apprends au côté de Santiago Torrijos à l’Atelier Rodier. Je participe à l’ouverture du restaurant en 2013. Santiago est un jeune chef créatif avec une solide expérience derrière lui. Il est très rigoureux et travailler dans son équipe est une expérience extrêmement enrichissante.
On me propose ensuite un poste de chef de rang au Mandarin oriental de Genève. J’y reste un an durant lequel je découvre le souci de l’excellence, la rigueur et le soin du détail propre aux palaces. Le service devait être parfait, minutieux, sans aucune imprécision.

En 2014, la cheffe propriétaire du bar/restaurant Les Petites Gouttes (Paris 18e) m’appelle pour devenir responsable de l’établissement. Situé dans l’écoquartier Pajol, l’endroit  réunit un bar à cocktails, un restaurant (cuisine du monde) et un espace évènementiel avec une programmation très éclectique (chants, théâtre, concert, cabaret burlesque), le tout occupant toute la surface d’une superbe halle réhabilitée. Je gérais une équipe de 28 personnes ainsi que l’ensemble des activités.  Une incroyable expérience de management de vie où la polyvalence et la capacité à faire face à la pression étaient des compétences indispensables. Je quitte les Petites Gouttes en 2016 pour rejoindre l’équipe d’Uptown en tant que chef barman. J’y reste jusqu’en février 2017.

Le poste de directeur de restaurant chez Maloka, ça vous change des cocktails, non ? 
Maloka est un petit restaurant avec une cuisine très créative et très inspirée des origines brésiliennes du chef, Raphaël Rego. Nous faisons une vingtaine de couverts en semaine. Cela monte à une quarantaine de couverts le weekend. Je m’occupe du service et de la communication entre la cuisine et la salle. Je suis l’interface avec les clients. Mon rôle est de les accompagner durant le repas. De plus, la cuisine brésilienne est peu connue en France. Il est important de leur décrire les produits que le chef utilise (il aime partir d’un produit unique, par exemple le manioc, pour le décliner de différentes manières). J’explique aux clients l’origine des plats qu’ils vont déguster afin qu’ils comprennent le cheminement créatif de Raphael et profitent pleinement de la dégustation. Je participe à la sélection des vins (essentiellement d’Amérique du Sud) et je gère également les réservations et les privatisations.

Au sujet des cocktails, c’est un domaine dans lequel nous vous avons découvert récemment. Comment cette passion est-elle née ?
C’est l’histoire d’une rencontre. J’ai découvert l’art de faire des cocktails aux Petites Gouttes, grâce à Pierre John qui y officiait à l’époque en tant que chef barman.  J’adorais ses cocktails. Je me souviens encore de son excellent « El Director » à base de whisky et d’agrumes. Une création parfaitement équilibrée, aux subtiles, sans superflus.
Lorsque j’avais du temps libre, je passais derrière le bar pour le regarder faire et apprendre ses techniques. C’est lui qui m’a formé et m’a transmis le goût de la mixologie. Il est devenu mon mentor. C’est comme ça que mon aventure en tant que bartender a commencé.
Quelques mois après, j’intégrais l’équipe d’Uptown comme responsable du bar.

C'est étonnant, il n’y a pas de carte des cocktails chez Maloka. Cela ne va-t-il pas vous manquer ?
Oui et non. Parallèlement à mon rôle de directeur de restaurant chez Maloka, j’interviens en tant que  consultant dans la conception de la carte de cocktails du restaurant OKA, la seconde adresse de Raphael Rego qui ouvrira ses portes dans quelques jours.
Il n’y a pas de bar chez Maloka. Nous proposons uniquement la caïpirinha, un cocktail brésilien préparé à base de cachaça, de sucre de canne et de citron vert. 
Le côté création va me manquer, mais concevoir des accords mets/cocktails avec la cuisine très raffinée et souvent surprenante proposée au restaurant pourrait être un projet intéressant. Le « cocktail pairing » est un exercice très périlleux, il s’agit de trouver le parfait équilibre entre le plat et le cocktail. Le cocktail ne doit pas prendre le dessus sur le plat. Généralement trouver un accord qui fonctionne nécessite de nombreux essais en amont. Il faut trouver l’ingrédient qui fera le lien entre les deux éléments, un ingrédient « conducteur » (une épice, un fruit, etc.).
 


Comment est-ce que cela se crée un cocktail ?  
Comme une cuisine, pour faire un bon cocktail, il faut de bons produits. Je sélectionne donc d’excellents ingrédients de base : spiritueux de qualité supérieure, épices exceptionnelles que je prends chez mon fournisseur personnel, les meilleurs jus de fruits et/ou nectars, etc. Il existe de nombreuses similitudes entre la cuisine et les cocktails. Je n’ai pas suivi de formation « scolaire » à la mixologie. Mon expérience en cuisine  me sert donc beaucoup lorsque je crée un cocktail.  J’aime tout particulièrement utiliser les épices et notamment poivre sauvage de Madagascar pour son gout unique qui transforme complètement un cocktail ou un plat. Cet ingrédient est mon ingrédient phare.Je pars du principe que chaque fruit à son épice. Les mariages peuvent être fantastiques.
Je joue également sur l’association des textures liquide et solide.  J’ai par exemple créé un cocktail à base de noix de coco dans lequel, pour apporter du croquant, j’ai intégré des billes gélifiées de coco. Les associations sont multiples. Je mets environ deux semaines pour créer une carte de 5 cocktails. Les sources d’inspiration sont partout et les idées surviennent à n’importe quel moment.  Toutefois, l’idée seule ne suffit pas, il faut réaliser de nombreux essais avant d’aboutir à la recette parfaite.   Tout comme dans la cuisine où les techniques moléculaires se sont développées ces dernières années, il est possible d’aller plus loin aujourd’hui dans la création de cocktails en empruntant des techniques à la cuisine moléculaire.  Les champs de création sont infinis et le potentiel d’évolution est particulièrement intéressant. 

Il y a des bars dont vous êtes fan ? 
Il y en a de plus en plus. Le monde du cocktail est très dynamique à l’heure actuelle, notamment sur la scène parisienne. J’aime bien le Lipsticks et le Glass, rue Frochot (9e). Mon dernier coup de cœur est pour Le Moonshiner rue Sedaine (11e), un speakeasy à la décoration des années 30 ou des cocktails – extraordinaires – sont réalisés par des bartenders en gilets. J’adore ce genre d’ambiance intimiste qui replonge dans l’époque de l’entre-deux-guerres et de la prohibition.  

Une dernière question, pourriez-vous nous dire quelque chose de vous que nous ne connaissons pas encore ?
Je dessine.

Vous dessinez vos cocktails ? 
Non, c’est une activité totalement à part qui me permet de déconnecter. Je dessine des portraits.

 

Mots-clés : cocktail restaurant - Mohamed Kharmalia - Paris

 

Retour en haut

https://7detable.com/article/dans-les-cuisines/mohamed-kharmalia-pour-faire-un-bon-cocktail-il-faut-de-bons-produits/1562