Critiques - Dans les cuisines

Interview : “Il y a bien moins de possibilités en Italie qu’en France”, Denny Imbroisi

Ecrit par Fred Ricou le 03.06.2016

Après avoir fini Top Chef, Denny Imbroisi décide non pas de travailler pour lui, mais de repartir en brigade. Elle se fera au Jules Verne dans les cuisines d’Alain Ducasse. Il y a un peu plus d’un an, le jeune chef italien ouvre son restaurant IDA, à deux pas de la tour Montparnasse. Il devient rapidement l’une des adresses importantes de Paris où « sa » carbonara est certainement l’une des meilleures de la capitale. Nous sommes allés à la rencontre de ce chef qui fait une cuisine qui mêle délicieusement la Calabre à Paris… Première partie.

 
 

Avoir son restaurant, c’est une finalité pour un jeune chef tel que vous ou c’est justement le début d’autre chose ? 

Avoir un restaurant, pour tous les chefs, cela n’a pas le même sens. Il y a des chefs qui sont faits pour être dans des hôtels, d’autres chefs pour la télévision, d’autre, encore, pour avoir un petit restaurant à la plage, ou un grand en ville. Je pense qu’il y a différentes catégories de chef. Aujourd’hui, il faut être complet et, avoir un restaurant, ce n’est pas le but de tout le monde. J’ai plein de copains qui ne veulent pas se lancer parce que c’est trop compliqué. Avoir un restaurant, aujourd’hui, c’est difficile surtout pour les banques. J’ai ouvert mon restaurant, l’an dernier, j’avais 27 ans. Il faut avoir un bon cv, il faut des chefs derrière toi qui font des lettres pour te recommander auprès des banques…

 

Vous, vous avez reçu l’appui d’Alain Ducasse…

Ça m’a ouvert des portes, oui. J’ai eu beaucoup de refus. J’avais demandé un prêt de 400 000 euros à beaucoup de banques et elles m’ont dit : non ! J’ai travaillé pour Alain Ducasse pendant 4 ans, il sait ce que ça veut dire d’ouvrir un restaurant. Grâce à lui, j’ai pu avoir mon crédit et l’ouvrir. Avoir un restaurant à 27 ans, ça peut paraître tôt, c’est vrai. Mais je viens d’une famille calabraise où l’on a des restaurants. Mon papa était cuisinier, il est aujourd’hui à la retraite. Il a travaillé pendant 10 ans en Suisse, c’est lui qui m’a appris les bases du métier quand j’avais 14 ans. J’ai fait l’école hôtelière en Lombardie à Mantoue, et depuis j’ai enchaîné. Mon papa avait beaucoup de contact dans les restaurants étoilés en Lombardie et j’y ai travaillé dès l’âge de 15 ans. J’ai beaucoup voyagé après, mais Paris était la ville parfaite pour moi, pour ouvrir un restaurant, en tout cas, pour un italien.

 

Justement, comment fait-on sa place à Paris vu le nombre de restaurants (plus de 13 000) ?

Il n’y a pas de compétition. Il y a de la concurrence, mais, pour moi, c’est positif. J’ai ma clientèle qui vient jusqu’ici, elle marche, il y a un restaurant juste à côté, ils passent devant, ou à l’inverse, ils passent devant le mien, donc ça amène du monde, ça n’en enlève pas. C’est la pensée inverse qu’un Italien peut avoir. Quand mon papa est venu, il a dit « Mais, il y a beaucoup de restaurants autour de toi ! » Je lui ai dit : « T’inquiète pas, à Paris, c’est comme ça ! ». Paris est une ville vivante. Tout le temps. J’aurais fait ce restaurant en Italie, il n’aurait pas aussi bien fonctionné. Il y a bien moins de possibilités là-bas qu’en France.

 

Vous avez dit : « Professionnellement, Top Chef a été un vrai tremplin. Après la diffusion, j’ai été sollicité par des marques, des journaux, des soirées, des animations, des mariages… »Est-ce que c’est aujourd’hui la place d’un chef, connu, de faire tout ça ? 

Connu ou pas, c’est inévitable. C’est bien de parler à des journalistes, c’est bien de passer à la télé, c’est bien de communiquer sur Instagram, sur Facebook, c’est hyper important. La communication, aujourd’hui, a changé. Comme la médecine, nous avons des outils qui ont évolué. L’autre jour, Alizé (NDLR la chanteuse) est venue au restaurant, je l’ai emmenée faire des pâtes en cuisine, j’ai mis la photo sur Instagram, ça a fait 400 likes. Ça amène du monde. Il faut être malin est utiliser les bonnes choses, les bons contacts, les bons clients qui viennent. C’est un métier où le Chef doit être « complet », où il doit sortir de sa cuisine pour parler avec les gens, pour créer des liens de fidélité avec eux…
 

 

 

Une photo publiée par Denny (@dennyimbroisi) le


 

 

C’est exactement ce qu’a fait Ducasse, il y a 25 ans !

Oui et c’est ce qu’il nous a appris. Et Top Chef est un tremplin… ou pas ! Il faut savoir qu’aujourd’hui il y a 106 Top Chef (7 saisons) et on parle que de 10-12… Donc c’est un tremplin si on utilise bien les bons outils. Mais ça peut être aussi une tombe !

 

C’est aussi une façon dont on réagit à la célébrité. C’est plus ou moins difficile…

Tout à fait. C’est aussi en fonction d’où l’on vient. J’ai un papa cuisinier qui comprend certaines choses. On a vécu en Calabre, c’était des périodes très dures quand j’étais enfant, au niveau économique. Quand tu sors dans la rue, après l’émission, tu es un peu comme dans Secret Story, les gens t’arrêtent, mais t’es rien en fait. Tu deviens connu, mais tu n’es pas reconnu. Il faut faire ses preuves et c’est là qu’on t’attend le plus et, comme tu es passé à la télé, tu es plus vulnérable.

C’est pour ça qu’il faut bien cibler, ne pas s’éparpiller, bien faire les choses. Toutes les marques avec lesquelles j’ai fait des choses, je les utilise en cuisine depuis longtemps. Je ne vais pas devenir ambassadeur pour le foie gras, je n’en utilise pas… Il faut être cohérent avec son image.

 

Quel regard votre père porte-t-il sur votre cuisine par rapport à la sienne ? 

Il me dit souvent que je serais incapable de faire ce qu’il fait, des lasagnes, des plats mijotés, des plats traditionnels... Plein de plats que, moi, je ne fais pas ! Mais quand il vient – il me rapporte beaucoup de produits comme le Limoncello ou encore le Guanciale –, il est fier de moi et me donne encore des conseils. La dernière fois, je faisais des ravioles, des pâtes fraîches, il me dit « Mais pourquoi tu fais ça avec un pinceau ? Achète un vaporisateur ! » Il m’a mis de l’eau dedans pour que je vaporise mes pâtes. Ce sont des petites choses qu’il a faites pendant longtemps et, moi, je n’ai pas le réflexe…

 

Et il l’aime votre cuisine ? 

Oui oui il l’aime, il l’adore. Il me dit parfois que je sale trop, mais sinon il adore mes dressages.

 

 

Quand vous avez quitté l’Italie, vous vous êtes dit que la France était le « passage obligé ». Aujourd’hui avec le recul, vous le pensez toujours ? 

Oui, c’est obligatoire. Pour moi, la France, ce sont les meilleurs techniciens au monde, la meilleure cuisine qui existe. Je ne dis pas que c’est la vérité, c’est juste la mienne. En Italie, nous, on ne se prend pas la tête. En Italie, nous avons de très bons produits qui sont accessibles à tout le monde. En France, il y a d’excellents produits, également, champagne et foie gras, mais ils ne sont accessibles qu’à une partie de la population. En Italie, on fait de la mozzarella, ou de la burrata mais elle est accessible, on peut tout acheter et bien manger. Parfois quand je pars en vacances, je m’arrête dans un supermarché et je m’achète un sandwich, il est bon, il est bien fait. En France, ce n’est pas comme ça. Si tu veux bien manger, il faut payer plus cher…

 

Les Français ont la technique, ils sont très méticuleux. Comme il n’y a plus l’armée, je vois des gens qui viennent travailler chez moi et qui sont très mal organisés. Et l’on apprend cette discipline et cette éducation surtout en France, dans les grandes maisons. Dans les grandes brigades, il y a une éducation précise sur comment organiser ton poste de travail, comment être propre sur toi, comment traiter les légumes, comment les nettoyer, les éplucher, les cuire. On a des cuissons précises ici, chose qu’en Italie, on se fout ! Je ne dis pas qu’en Italie tout le monde est comme ça. Il y a des chefs italiens qui sont très méticuleux et en France qui s’en foutent. Là, je parle d’une majorité !

 

Vous avez également dit dans une interview « Pour faire de la cuisine comme je fais, il faut être italien ». Que voulez-vous dire ? 

Je parle de ma cuisine à moi, aujourd’hui. Ce que j’adore, mes racines, mes origines, c’est une cuisine italienne, les bases que mon papa m’a apprises. La sensation quand on fait une pâte fraîche, de la sentir, etc. Pour moi, l’Italie, c’est le sentiment, c’est l’amour. La France, c’est la technique. C’est mon résumé personnel.

 

En cuisine, avec moi, j’ai une Française et un Italien. Quand c’est Barbie qui fait des pâtes, ça ne devient pas la même chose que quand c’est Ricardo qui les fait.

Quand je dis qu’il faut être italien pour faire cette cuisine, je suis allé manger dans un restaurant pas loin de chez moi et j’ai pris des suprêmes de poulet crème et champignons avec des tagliatelles. Les tagliatelles étaient fades, trop cuites. Au début ça me choquait…

 
Interview réalisée en collaboration avec Cucinella

 

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