Critiques - Dans les cuisines

Abdel Alaoui : "Yemma, c'est un vrai retour aux racines !"

Ecrit par Fred Ricou le 16.06.2016

Abdel Alaoui a un parcours étonnant. Né au Maroc, il a vécu sa jeunesse à Saint-Germain-en-Laye. Il est passé par les cuisines de plusieurs grands chefs en France, et, à côté, à découvert le théâtre. Devenu également chef médiatique, il a ouvert Burger & Co à St-Germain en Laye en novembre 2012, et une petite année plus tard le Bar à Burger dans le 10e arrondissement. L'an dernier, il fait paraître un livre Ma petite épicerie marocaine et depuis quelques jours, son nouveau petit restaurant Yemma, tendance street-food marocaine, où l'on mange à la fois sur le pouce, des couscous ou des sandwichs, commence à faire parler de lui. Nous y sommes allé…
 


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Il n’est pas commun ce parcours. Vous en pensez quoi ?
J’ai commencé la cuisine à l’âge de 14 ans, puis C.A.P, B.E.P, Bac Pro après j’ai fait 10 ans de gastronomie pure avec des chefs comme Pierre Gagnaire, Michel Rostang, Jean-Yves Leuranguer au Fouquet’s après, j’ai arrêté la cuisine, ça m’a saoulé. Après j’ai fait trois ans d’école de théâtre chez Jean Périmony et après j’ai fait une école de cirque qui s’appelle Jacques Lecoq et là, la cuisine me manquait. Là je suis parti à Londres travailler pour Pierre Gagnaire et j’ai découvert là-bas Jamie Oliver à la télé et je me suis dit : « Il faut un mec, comme ça, décontract’ ». J’avais fait un peu de télé, une émission qui s’appelait SOS Abdel, où j’allais chez les people et je faisais des recettes avec ce qu’ils avaient dans le frigo. Et en revenant, j’ai passé un casting pour Canal + et j’ai été pris. J’ai eu une chronique pendant trois ans, tous les midis, « Cuisine en 5 minutes ». Le côté show me plaisait et il y avait de la cuisine…
 
Est-ce que Yemma pour vous, c’est une sorte de retour aux racines ?
Complètement ! C’est un vrai retour aux racines ! J’ai été éduqué par cette cuisine. Je n’ai pas connu la cuisine française avant l’âge de 14-15 ans. Quand j’ai découvert la blanquette et le poulet rôti, c’était les premières fois que je sortais avec des Françaises. Toute ma vie, ça été tagine, couscous, les salades marocaines que l’on peut voir ici. Après, j’ai fait la cuisine française et là depuis, un an ou deux, j’ai écrit avec Hachette « Ma petite épicerie Marocaine »…
 
Justement, c’était au moment de l’idée du livre que l’idée du restaurant est née ?
Non pas vraiment, mais ça m’a aidé à valider le fait de faire de la cuisine marocaine. Le livre marche vraiment bien et cela m’a convaincu de me lancer dans l’aventure.
Yemma, ça veut dire « Maman » en marocain…
 
Ha oui. C’est le vrai retour aux sources !
C’est vraiment les recettes de ma mère. Il y en a quelques-unes dans le livre après moi j’aime bien jouer avec les genres. Je fais une Kefta « bougnoulaise » par exemple, une sorte de bolonaise un peu revisitée.
Moi ça me plait ! La cuisine marocaine est reconnue pour être l’une des trois meilleures cuisines au monde avec la Française et l’Italienne.  Moi, je voulais quelque chose de pratique, accessible, street-food. On a tendance à dire : « La cuisine marocaine, c’est la cuisine familiale. » Là on s’assoit, on mange, avec les sauces… Le couscous, il arrive déjà prêt, tout est mélangé dans l’assiette…
 
Beaucoup de chefs, quand ils ouvrent un restaurant, vont plus être tentés par la gastronomie que par la street-food. Est-ce que vous, c’est quelque chose qui vous tenterait pour cette cuisine marocaine ?
Oui. Peut-être plus tard. Il y a quelques chefs au Maroc, dont Meryem Cherkaoui, qui travaille en collaboration avec Yannick Alleno ici en France, ils travaillent pour le Royal Mansour à Marrakech, une carte gastronomique ! Il y a quelqu’un qui disait que dans cinq ans, la cuisine marocaine ça va être une des meilleures cuisines au monde, peut-être même la meilleure ! Peut-être aussi que je m’y prends un peu tôt pour la faire découvrir aux gens. Mais je n’en suis pas encore là ! Mon but c’est de la faire découvrir sous une autre forme, moins chère et plus pratique à manger, agréable, un peu fun…
 
Et le lien avec vos autres restaurants ? Les restaurants à burgers…
Le Burger & Co à Saint-Germain, je l’ai ouvert il y a 5 ans. Il n’y avait pas encore le Camion qui fume, il n’y avait rien. Je l’ai senti quand je suis allé à Londres, à Berlin, je voyage pas mal, et je me suis dit que le burger allait débarquer en France. Donc j’ai lancé Burger & Co et ça a tout de suite marché… Après j’ai ouvert le B.A.B, le Bar à Burger… Le but de ça, le B.A.B, Big Fernand c’était vraiment de créer une chaîne de qualité. Maintenant, je ne suis plus au B.A.B et je m’intéresse à la cuisine marocaine. Je me dis que c’est nouveau et que les gens vont y prendre goût. Je développerais peut-être Yemma différemment. Une sorte de Daily Yemma, une épicerie. Ici, c’est un peu comme un laboratoire et derrière on ferait des petites branches…
 
Vous parlez de street-food. Aujourd’hui ça va souvent de pair avec un truck. Un Yemma Truck ça vous plairait ?
Oui, j’ai eu un truck avec le B.A.B, mais pour Yemma ce serait plus un côté casbah. Une sorte de triporteur retravaillé…
 
Vous y avez déjà pensé alors…
Oui ! D’ailleurs dimanche, on fait la street popote au Food Market. Lionel qui lancé la ruche qui dit oui, fait venir pas mal de producteurs, de cuisiniers et je vais avec Yemma, là-bas…
 
Tiens, justement, en parlant d’artisans et de producteurs, ou est-ce que vous vous fournissez pour Yemma ?
Tous les produits secs, avec le temps, je vais les rapporter du Maroc. La fleur d’oranger, les épices, les boites de sardines... Là, comme c’est l’ouverture, j’achète chez des producteurs que je connais. Pour les légumes, je travaille avec un couple, pas loin d’ici qui fait des légumes. Le but c’est de faire des couscous avec des légumes de saison. On veut travailler avec du potiron, des fèves… et pareil pour les sandwichs. Sinon, même pour la déco, tout vient de là-bas, tout a été fait et commandé au Maroc.
 
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Je crois que vous vouliez vraiment, comme c’est de plus en plus courant, qu’il n’y ait quasiment pas de séparation entre la salle et la cuisine. Une sorte de cuisine en mouvement comme vous pouvez le faire à la télé. C’est bien ça ?
Je l’ai fait au B.A.B aussi. J’avais mis une grosse vitrine pour les odeurs de friture. Mais ici, les odeurs, c’est juste hallucinant ! La fleur d’oranger, le cumin, le ras-el-hanout… Il y a ce côté bouiboui dans un souk à Marrakech ou à Fez, tout est ouvert ! Moi je suis en train de faire les sandwichs, je peux discuter avec les clients, tout se mélange !
C’était vraiment une volonté. Il y a le côté show de la télé, effectivement, c’est théâtral, aussi !
 
Quand le Chef Thierry Marx dit sur la street-food : « C’est une vraie alternative à la malbouffe, un puissant moteur d’intégration dans la société. La Street Food, c’est l’avenir ! » J’imagine que vous êtes on ne peut plus d’accord…
Entièrement d’accord ! Il y a des chefs qui s’y mettent, Marc Veyrat, Bocuse, Thierry Marx, il y en a plein ! Ce côté street et facile à manger…
 
C’est pour se rapprocher des gens ?
Je pense que la crise a beaucoup joué à une époque et aujourd’hui on ne veut plus manger un kebab, une pizza, un truc mal servi. On veut manger quelque chose de bon, de frais. Ca peux être toujours un kebab, mais l’on sait que le pain est fait  « maison », que les légumes sont bien choisis, que la viande est assaisonnée par nous-mêmes, avec le même prix que le kebab en face. Mais tout en gardant le côté street, décalé, de proximité avec le client. On ne joue pas à être sympa, mais on l’est ! L’humain est comme ça et ça passe à travers la bouffe.
 

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Quel est votre rapport aux livres de cuisine ?
Pour moi, c’est un bel objet. Comme je fais beaucoup de télévision, j’en reçois beaucoup. Et quand il y a un beau livre qui me plait, j’en achète. De la cuisine du monde entier, indienne, française, espagnole, dès que j’en vois un qui est beau, je l’achète…
Dans ma cuisine, chez moi, c’est un lieu de vie, où l’on mange, j’ai plein de livres partout, c’est important !
 
Et ceux que vous avez réalisés ?
J’ai appelé Hachette, je leur ai dit « Ce serait peut-être le moment de faire un livre autour de la street-food… ». Sinon, j’en ai fait un autre qui s’appelait « La cuisine d’Abdel » pour Mango…
 
C’est différent d’écrire un livre pour quelqu’un comme vous qui fonctionnez beaucoup dans le visuel, dans l’énergie ?
Non. Quand on lit mes livres, je fais toujours une intro un peu décalée pour l’approche de la recette. Ce n’est pas compliqué, quand je travaille sur un thème et un concept, j’y bosse pendant un mois et demi, deux mois, à fond et après je livre mes recettes, et l’on fait des échanges avec les éditeurs. Je ne fais pas mes photos, j’envoie mes textes et après c’est l’éditeur qui bosse. Il me présente les photographes avec qui je travaille, mais c’est tout. J’ai quand même un œil au fur et à mesure…
 
Il paraît que vous buvez énormément de café pour faire vos journées, vous faites 10 000 choses en même temps. C’est vrai ?
Oui, j’en bois de plus en plus. Surtout que j’ai un super mec qui fait un café torréfié, The Beans on fire, on va certainement travailler ensemble. Oui je bois énormément de café, je ne dors pas assez… Je vais refaire de la scène…
 
Vous étiez monté sur scène pour faire un spectacle « One man chaud »…
Oui, j’ai joué au théâtre du gymnase pendant sept mois et ça à hyper bien marché, je l’ai joué aussi un peu en France… Et là, on refait une écriture avec mes auteurs, on réadapte. On garde ce qui marchait, on enlève ce qui marchait moins. Le but c’est de mettre une cuisine sur scène et de faire le show !
 
Un peu comme Norbert Tarayre !
Oui. On a le même producteur…

C’était un « manque » ce retour sur scène ?
C’est bizarre. Ma vie a toujours été entre le théâtre et la cuisine, dès que la cuisine me manque, je vais en cuisine, alors on ouvre des restos et dès que le théâtre me manque on réadapte le « one man » et l’on monte sur scène. Sur un an, je peux faire des aller-retour, entre temps, j’écris un livre, mais la bouffe reste le fil conducteur. Il suffit de bien gérer son emploi du temps, de ne pas se précipiter…
 
Vous êtes aussi jury de Top Chef en Algérie !
Oui et la deuxième saison cartonne ! On fait 6 millions de téléspectateurs. Là je pars pendant trois semaines, j’enregistre trente émissions et je rentre. Là je l’ai fait et ils ont aussi acheté le programme de Michalak, Dans la peau d’un chef, on a enregistré une quarantaine d’émissions, ça m’a pris une semaine. Six émissions par jours, de neuf heures du matin à minuit, je fais une sieste de 15 minutes entre chaque émission.
 
Après Yemma, quelle sera la suite ?
Déjà, bien travailler la carte. Moi je veux que le client quand il sort, il soit content et qu’il revienne. Je veux qu’il passe un bon moment. De la musique, du thé, des saveurs marocaines, c’est ça, le but ! Là, ça ne fait que 15 jours que nous sommes ouverts, mais nous voulons développer un brunch le dimanche, avec des produits marocains, des crêpes, et vraiment avoir une carte hyper ficelée.
 
Et le soir, vous êtes ouvert en ce moment ?
Oui, comme c’est Ramadan, on fait la soupe. Ce soir, par exemple, je fais C à vous sur France 5, en direct, et après je viens ici tout de suite…


Yemma
119 Rue du Chemin Vert,
75011 Paris

 

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