Pousse-café - Roman

Baudelaire : Un morceau de pain au goût amer

Ecrit par Petit Louis le 04.07.2016

Charles Baudelaire est un des plus grands poètes français. Auteur torturé, il publie de son vivant une seule œuvre, les Fleurs du Mal. Il s’agit d’ailleurs pour le grand public de son œuvre la plus connue. Il mène une vie de bohème pendant de nombreuses années. Le Spleen de Paris est publié en 1869 après sa mort, connu également sous le nom de Petits Poèmes en Prose. Il s’agit d’un recueil posthume, composé de plusieurs poèmes de l’artiste, proposé par Charles Asselineau et Théodore de Banville.

 

Pain au Levain - Cooling
Rebecca Siegel, CC BY 2.0

 

« Le gâteau » fait partie de ce recueil de poésie. Il s’agit manifestement de proses tirées d’une réalité vécue par le poète. L’écrivain s’est senti touché par certaines scènes significatives de son époque. Le poète se retrouve en voyage dans les îles de l’océan indien. Il est troublé par l’immensité et la noblesse des paysages. Il se laisse gagner par une spiritualité et un sentiment de paix.  Durant son périple, il s’arrête un moment pour manger. Il sort alors de sa poche un gros morceau de pain. En relavant les yeux, se tient devant lui un jeune garçon :
 

Je découpais tranquillement mon pain, quand un bruit très léger me fit lever les yeux. Devant moi se tenait un petit être déguenillé, noir, ébouriffé, dont les yeux creux farouches et comme suppliants, dévoraient le morceau de pain ? Et je l’entendis soupirer, d’une voix basse et rauque : gâteau ! Je ne pus m’empêcher de rire en entendant l’appellation dont il voulait honorer mon pain presque blanc, et j’en coupai une belle tranche que je lui offris. Lentement il se rapprocha, ne quittant pas des yeux l’objet de sa convoitise ; puis happant le morceau avec sa main, se recula vivement, comme s’il eût craint que mon offre ne fût pas sincère ou que je m’en repentisse déjà.

 

Mais au même instant il fut culbuté par un autre petit sauvage, sorti je ne sais d’où, et si parfaitement semblable au premier qu’on aurait pu le prendre pour son frère jumeau. Ensemble ils roulèrent sur le sol, se disputant la précieuse proie, aucun n’en voulant sans doute sacrifier la moitié pour son frère. Le premier exaspéré, empoigna le second par les cheveux ; celui-ci lui saisit l’oreille avec les dents, et en cracha un petit morceau sanglant avec un superbe juron patois. Le légitime propriétaire du gâteau essaya d’enfoncer ses petites griffes dans les yeux de l’usurpateur ; à son tour celui-ci appliqua toutes ses forces à étrangler son adversaire d’une main, pendant que de l’autre il tâchait de glisser dans sa poche le prix du combat. Mais ravivé par le désespoir, le vaincu se redressa et fit rouler le vainqueur par terre d’un coup de tête dans l’estomac. À quoi bon décrire une lutte hideuse qui dura en vérité plus longtemps que leurs forces enfantines ne semblaient le promettre ? Le gâteau voyageait de main en main et changeait de poche à chaque instant : mais hélas il changeait aussi de volume ; et lorsqu’enfin, exténués, haletants, sanglants, ils s’arrêtèrent par impossibilité de continuer, il n’y avait plus, à vrai dire, aucun sujet de bataille ; le morceau de pain avait disparu, et il était éparpillé en miettes semblables aux grains de sable auxquels il était mêlé.

 

Ce spectacle m’avait embrumé le paysage, et la joie calme où s’ébaudissait mon âme avant d’avoir vu ces petits hommes avait totalement disparu ; j’en restai assez triste longtemps, me répétant sans cesse « Il y a donc un pays superbe où le pain s’appelle du gâteau, friandise si rare qu’elle suffit pour engendrer une guerre parfaitement fratricide ! 

 


Dans de nombreux pays, parfois mêmes à nos frontières, nous voyons les émeutes de la faim, jeter des milliers de gens dans les rues, le prix du pain y est dérangeant. Par les conflits politiques, la distribution des vivres par les associations humanitaires engendre comme au temps de Baudelaire, des bagarres autour d’un sac de riz, d’eau… La pauvreté, le dénuement, les détresses sont immenses.

 

Ce poème nous rappelle comme il est triste de constater que rien n’a vraiment changé dans le fond. Publié en 1869, il se révèle pourtant une actualité évidente. 

 

Mots-clés : Poème pain Baudelaire - Littérature Baudelaire manger - morceau pain amer

 

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