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EDITO : T’es beau comme un camion !

Ecrit par Frédéric Beau le 06.06.2016

La grande vague food truck a débuté en 2009. C'est une Californienne qui débarquant dans la capitale pour une formation à l’école Ferrandi et, constatant l’inexistence de cette offre à Paris et dans la France tout entière, s'est dit qu'un camion aurait sa place ici aussi. Ce que l’on a depuis toujours chez nous, et qui se rapproche le plus de ces restaurants ambulants, ce sont les camions Pizza qui sillonnent les campagnes. Mais cette fois, c’est différent. Kristin Frederick a placé la barre un peu plus haut. On ne parle plus dès lors que de « gourmet food truck ». Rien à voir avec les roulottes de hot-dog de la foire du Trône et ce qui est limpide, en tous cas, c'est qu'on fait tout pour clairement se distinguer de ce type offre... Mais tout n’est pas aussi simple.

 
Foodtruck
Peter Karlsson, CC BY 2.0
 
C’est ça, la prétention de la nouvelle tendance. Pour le Camion qui fume, le contrat est rempli, des pains maison, du vrai fromage cheddar, bref, je ne vais pas faire de la pub ici, mais on est concrètement aux antipodes de ce que proposent les célèbres enseignes industrielles. Un vrai bon produit qui, même deux fois plus cher, attire suffisamment de clients pour qu'au bout de quelques années on étende sa flotte jusqu’à l’ouverture méritée d’un vrai restaurant. Le prix semble, au-delà de la mode, être largement justifié par la qualité aux yeux des clients. Pari réussi !

Mais voilà, un double danger guette ses aventuriers de la nourriture de rue et de qualité.

Le premier de ces dangers vient de l’intérieur. Des opportunistes souhaitant surfer sur cette vague, en s’imaginant qu’ils peuvent se faire de l’argent et en proposant plus ou moins n’importe quoi, mais surtout trop cher. Les grandes villes comme Paris et Lyon ont tour à tour intégré ce nouveau phénomène en distribuant des autorisations d’exploitation et des emplacements à la plupart. Ceux qui montrent patte blanche en tous cas décrochent ce sésame sans trop de difficultés. Si bien qu’après les burgers et leur succès, c'est l'explosion. Tout le monde s'y essaie, l'investissement n'est pas énorme et même sans rien y connaitre au monde de la restauration, une ou deux recettes simples (voire simplistes) et bien travaillées peuvent faire illusion un temps. Parmi les conducteurs de friteuses à roulettes, on trouve souvent des jeunes, issues d'écoles de commerce, cela devient alors un projet, un tremplin, un business model calqué sur le succès de notre Californienne. La plupart du temps, la partie commerciale et marketing est très bien aboutie, des emplacements ciblés, un design chiadé, un camion stylé et un produit bien trendy. L'envie de vendre un produit qu'on connait et qu'on maitrise est loin, il s'agit de bien vendre n'importe quoi, l'emballage compte.
Les prétendants veulent se démarquer, cuisine asiatique, mexicaine, libanaise, veggie … ils fleurissent aussi diversifiés qu’incongrus parfois. Et, profitant de l’engouement, proposent des plats, des menus à des prix quelque peu disproportionnés au regard de ce qui est servi. Avec un modèle économique basée sur une image, une carte extrêmement restreinte, parfois un seul choix, donc peu de pertes, et tout un tas d’extra facturé au prix fort. C’est ici que cela commence à déraper. Je ne vais viser personne, mais certains essais personnels ont été extrêmement décevants. Quand on dépense 12 à 14€ on s’attend à avoir quelque chose de suffisamment copieux, et on s’attend également dans ce genre de concept à manger quelque chose de différent, original, bon. C’est tout l’intérêt de ce type de structure, l’investissement et l’exploitation d’un camion comparé à celui d’un restaurant permettent de proposer soit des prix très attractifs pour un même produit, soit des prix similaires pour un produit meilleur. Ça, c’est la théorie… En pratique certains ne joue pas le jeu, et avec la visibilité croissante de cette offre ils risquent d'être de plus en plus nombreux.
 
Cuban sandwiches
Tammy Gordon, CC BY2.0
 
Les seconds loups dans la bergerie sont les industries qui ont bien compris l'intérêt de ce type de vente. Dans leur cas, il s'agit clairement d'un moyen de communication, le souhait de proposer une cuisine de rue inventive et respectueuse n'entre pas en ligne de compte. C'est une tendance grand public et les services de communications et marketing on eut vite fait de s'approprier ce moyen à la mode pour faire avancer leur stratégie. Plus original qu'un flyer ou qu'un échantillon proposé à l'entrée du métro, les camions deviennent une ligne dans le budget publicité de leurs services commerciaux. Et plus la marque est grosse et plus la ligne à du poids. Un Camion qui peut représenter un investissement important pour de jeunes entrepreneurs qui se lancent (estimé autour de 40 k€), ne signifie pas grand-chose quand on s'appelle McCain, Nutella, ou Ben & Jerry's. Ça n'est alors plus qu'un outil de promotion, c'est pourquoi on les voit fleurir à vitesse croissante, ils ont pour enseigne Cointreau, WeightWatchers, Lustucru ou encore Monoprix… Et n'ont plus rien à voir avec l'esprit initial, le local, le fait maison, le fait sur l'instant n'est pas la préoccupation. S'ajoute à cela que les moyens mis en oeuvre par ce genre d'enseignes leur permettent d'obtenir une attractivité visuelle importante. Et cela risque à terme de créer la confusion dans les têtes des consommateurs et rendre la tâche de  nos dévoués passionnés plus ardue. 
 
Game of Thrones Food Truck
Campfire, CC BY 2.0
 
Il va donc falloir très vite que la profession s'organise, se fixe des règles et les respectes sous peine de voir le petit mythe naissant perdre sa crédibilité aux yeux des consommateurs de plus en plus soucieux de manger mieux, incrédules, et dont le porte-monnaie à ses limites. Le potentiel derrière cette mode est formidable pour toutes les parties. L'opportunité pour le visiteur d'un évènement, d'un festival, de n'importe quel rassemblement de manger correctement  et éventuellement de découvrir quelque chose, d'avoir un autre choix que des sandwiches triangles, ou des salades en plastique. La facilité pour les organisateurs d'offrir un service complet et de qualité aux visiteurs, sans avoir de cuisine à monter de stock à gérer, de frigo, de normes... Et évidemment, un vrai boulot, un tremplin pour un futur restaurant, une opportunité pour tester et s'adapter sur des cartes réduites et des plats faits à la minute pour les heureux entrepreneurs conducteurs de Camion. Il est difficile d'avoir des chiffres concrets, mais on parle actuellement de plus de 400 Camions (il s'en créerait environ 1 par jour...) parcourant la France pour proposer une street food de qualité et le plus souvent locale. Bien sûr il y a quelques débuts de valorisation, comme l'association Street food en mouvement soutenue par un certain Thierry Marx qui sont important, mais il faut aller vite.
S'ils font un peu attention, on va pouvoir manger des trucs sympas à tous les coins de rue d'ici peu.

DGCCRF - StreetFoodenMouvement - 3collaboractifs - 
 

 

Mots-clés : food truck - qualité locale - street food

 

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