Plat du jour - Economie

Du blé à foison, plus de farine dans les rayons : le problème de la délocalisation

Ecrit par Élisa Hendrickx le 23.04.2020

Depuis l’annonce du confinement le 17 mars dernier, la farine a déserté les rayons des supermarchés. Pourtant, la France regorge de blé tendre et les moulins fonctionnent normalement. Le problème vient des sachets produits en Espagne et en Italie.

 


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Des rayons entiers vidés de leurs sachets de farine et des français qui cuisinent de plus en plus… Le marché de la farine, stable jusqu’à lors, s’est envolé dès l’annonce du confinement. Selon l’Association Nationale des Industries Agroalimentaires, les ventes de farine ont « triplé puis quadruplé dès la deuxième semaine du confinement ». Même les enseignes bio, pourtant portées sur le vrac, ne sont pas épargnées : « La T65 ça fait longtemps qu’elle a déserté mon biocoop. On ne trouve plus que de la farine de lupin ! » raconte Adèle Samjee, une cliente. Pourtant, avec 37 millions de tonnes de blé tendre produites chaque année, la France est le 1er producteur et historiquement le 1er exportateur de blé de l’Union Européenne. 

 

L’industrie agroalimentaire, elle, n’est pas alarmée quant aux réserves de blé mais admet ses failles : « Aujourd’hui, c’est la production des sachets à l’étranger qui nous met sous l’eau. » Car même si la farine que nous trouvons habituellement dans nos supermarchés a tout du « made in France », les sachets, eux, sont fabriqués en Espagne et en Italie. Confinés avant l’hexagone, les deux pays frontaliers ont du limiter leurs liens avec la France. La production des sachets et leurs livraisons, devenues plus aléatoires, empêchent l’achalandage des rayons. Pour Abdu Gnaba socio-anthropologue et auteur de Anthropologie des mangeurs de pain, le manque de farine dans les rayons n’a rien d’anodin et l’inquiétude montante qui en découle non plus. « Nous traversons une crise. Sanitaire, c’est certain, mais également une crise identitaire. D’un jour à l’autre nous nous retrouvons coupés du monde et de nos habitudes. Dans notre culture le pain c’est rassurant, stable. En manquer est synonyme de terreur ». 

 

Même si la farine a disparu des rayons de nos supermarchés, Hervé Courte, directeur de Coopérative Agricole Ile de France Sud, se veut rassurant : « La France est à des milliers d’années de manquer de pain ». Le blé n’est pas une denrée périssable, il se stocke sur plusieurs mois voire sur plusieurs années. « À moins d’être confiné durant une année entière, il n’y a pas de soucis à se faire sur la farine » souligne Hervé Courte. Aucune inquiétude à avoir au niveau des réserves de blé, en revanche, les sachets produits à l’étranger posent de vrais problèmes. Vincent Fouche, ancien directeur des Moulins Fouché confie : « Pour des raisons économiques, nous avons fait le choix il y a une cinquantaine d’années d’externaliser la production des sachets de farine ». Aujourd’hui, c’est du côté de l’Espagne et de l’Italie que les productions de sachets de 500 g et d’1 kilos sont installées. 

 

Dans ces pays frontaliers confinés depuis le 9 mars (pour l’Italie), la main d’oeuvre est moins coûteuse. Selon Jonathan Guimenez, commercial chez Tapiero Minoterie, l’une des rares entreprises françaises de production de sachets de farine en kraft, la marge par sachet « se joue sur 2 ou 3 centimes, qui, sur de grandes échelles de production, se transforment en milliers d’euros ». Mais le malheur des uns fait le bonheur des autres. Tapiero Minoterie, sur-sollicitée depuis le manque des sachets de farine dans les supermarchés, enregistre des ventes spectaculaires : « Le vrai made in France finit par payer. C’est dommage de devoir en arriver là pour s’en rendre compte ! ». Cependant, la petite entreprise ne peut pas répondre aux besoins de toute la grande distribution et ce même en travaillant 24h/24h. « Ici on tourne à plein régime, on est rapidement passé au trois-huit mais même ça cela ne suffit plus. » 

 

A la délocalisation des sachets s’ajoute un décalage dans les livraisons. En effet, depuis le confinement des pays européens, les livraisons sont devenues plus aléatoires, « au niveau de la logistique c’est 1 camion sur 3 qui tourne » lance le commercial de Tapiero. Un décalage qui ne coïncide pas avec la demande grandissante des particuliers.

 

Les meuniers français, eux, font tous le même constat : depuis le confinement, la demande a muté. Les boulangers, en nette perdition depuis la restriction des déplacements, sont moins demandeurs. Fini l’époque des croissants et des brioches dénichés à la boulangerie du coin. En revanche, les supermarchés achètent davantage de sacs de farine de 1 kilo pour les particuliers. Une demande à laquelle il est très difficile de répondre car une partie de la chaîne de production, délocalisée chez nos voisins, n’a « jamais permis de s’y préparer » raconte, quelque peu démuni, Théodore Parain, meunier dans le Gers. 

 

À l’heure actuelle, tout le secteur est touché. Les meuniers qui, en temps normal, brassaient la plupart de leur matière première avec les boulangers via des grands sacs de 25 kilos, se retrouvent à devoir tripler leur marchandise à destination des supermarchés.

 

Face à l’explosion de la demande chez les particuliers, certains supermarchés ce sont adaptés pour réapprovisionner leurs rayons dévalisés par la peur de manquer des clients. Les grandes surfaces pourvues d’un stand boulangerie reconditionnent eux-mêmes les sacs de 25 kilos livrés à leur boulanger. La farine, emballée dans des sachets en plastique d’1 kilo noués par un fin cordon rouge est étiquetée et vendue « sans marge » tient à préciser Jean-Louis Alliot, le responsable de l’Intermarché d’Ahun, dans la Creuse.

 

Les boulangers de quartier, en perte de vitesse depuis le début du confinement, reconditionnement eux aussi leurs gros sacs de farine. Chez l’Atelier P1, une boulangerie située dans le quartier de Montmartre à Paris, Julien Cantenot, le fondateur, est sans équivoque : « De la farine, nous en avons toujours vendu. Mais là, on est passé de 2 kilos journalier à 20 kilos. ». Pour le reconditionnement, c’est du fait maison : « On utilise des sacs à pain et du scotch. Dans le pétrin on s’adapte » renchérit ce boulanger.

 

À cela s’ajoute l’explosion d’un nouveau marché, déjà en plein essor : la vente en directe du producteur au consommateur. En haut de l’échelle de production, les moulins mettent les bouchées doubles pour fournir des sacs à cette nouvelle clientèle qui fait la démarche de venir jusqu’à leur moulin. Thibault Doillon, le meunier du moulin des Etangs dans les Ardennes, raconte  : « Les commandes des particuliers ont quintuplé . Ici, on est pas équipés pour faire des sachets de 500 g ou 1 kilo alors depuis peu on coud les sacs à la main. ». Depuis les premiers manques dans les supermarchés, c’est armé d’une grosse aiguille pour le cuir et d’un sac en toile épaisse, que le jeune meunier s’est astreint  à ce travail long et fastidieux. 

 

Malgré le confinement, il n’y a donc pas de réelle rupture avec l’Italie et l’Espagne. Un retour à la normal est donc à espérer dans les jours à venir.

 

Mots-clés : farine rayon - manque super-marchés - confinement

 

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